
#Critique : Voyoucratie
Dans une cité, une racaille consumée par la rage se retrouve pris au piège d’un engrenage infernal. Un thriller hardcore, réalisé lors d’un tournage guérilla par deux surdoués, le tandem FGKO. Plus qu’un film, un cocktail Molotov.
Coup de boule dans la tronche d’un cinéma français aseptisé, Voyoucratie est une vraie bonne nouvelle. Petit film venu de nulle part, tourné grâce au système D par deux jeunes mecs qui n’avaient même pas 30 ans, c’est un thriller hardcore, violent, sans concession, irrigué par une énergie absolument renversante. Pendant 90 minutes qui filent à la vitesse de la lumière, le film colle aux basques de Sam, racaille de banlieue qui vient de plonger pour un braquage de superette. À sa sortie de prison, Sam retrouve la rue, zone dans sa cité, picole en bas des immeubles, traficote, agresse les filles dans le métro avec un cutter, tente de reprendre sa place auprès de sa femme et son tout jeune fils. Paumé, à la ramasse, rongé par une haine dévastatrice, irrécupérable (?), il se remet à dealer pour le compte d’un caïd, accepte un contrat, et devient la cible d’une bande de flics coriaces qui l’obligent à balancer. Le piège autour de Sam est grand ouvert, il va vite se refermer…
Impossible de parler de Voyoucratie sans parler de sa conception et de sa réalisation chaotique. Issus de la banlieue, Fabrice et Kevin, nom de guerre de FGKO, se rencontrent sur les bancs d’une école de ciné. Coup de foudre : ils aiment Stallone, Schwarzy, Stanley Kubrick, James Cameron et Scarface. Ils quittent leur école de ciné avant le diplôme, commencent dans une boîte de pub, galèrent, puis décident de foncer, d’apprendre sur le tas. De faire, quoi ! Il y a quatre ans, ils se lancent dans un court métrage, Voyoucratie. Puis, ils ne vont avoir de cesse de faire de ce court un long, grappillant du pognon pour obtenir une journée de tournage en plus, une séquence de plus, déchirant des pages de scénario suivant l’économie du moment, bouclant les scènes en une seule prise, le tout grâce au support indéfectible de leurs comédiens et de l’équipe technique. À l’arrivée, le film se tournera sur moins de vingt jours, pour la somme dérisoire de 100 000 euros, le budget apéro de Valérian de Luc Besson. Un putain de tour de force !
Le duo FGKO n’a peur de rien. Leur scénario, c’est Ma 6-T va crack-er puissance 1000. Il montre la face sombre des cités : le deal, la loi du plus fort où l’on règle ses comptes à coups de flingue, de cutter ou de batte de baseball et des mecs en marge dont la vie se résume à la délinquance, la prison ou la mort. Dans ce territoire sans loi, c’est la misère, le chômage, la peur, les bandes. Avec courage, FGKO décrit le quotidien misérable du lumpenprolétariat de la banlieue, l’inéluctabilité du pire, le déterminisme social, les vies brisées, dans une banlieue sans fard. Leur anti-héros, Sam, est une petite frappe, un dealer, un mec fruste et vicieux qui attaque les femmes sans défense, prêt à tout pour survivre. Comme il est pour le moins difficile de s’identifier à un tel personnage, FGKO lui offre un atout qui le sauve : son amour naissant pour son fils. Et on le suit pendant sa descente aux enfers, qu’il soit bourreau ou victime.
Sur le plan de la mise en scène, Voyoucratie défonce tout. Pendant 90 minutes, FGKO fonce bille en tête, avec une énergie revigorante, une envie de tout bouffer. Les garçons enchaînent les scènes d’action, les confrontations haute tension, les scènes plus introspectives. C’est violent, simple comme un uppercut, incroyablement puissant, et le film évoque la rage tellurique des deux premiers Pusher, de Nicolas Winding Refn. Il y a pire comme référence… En tout cas, on est à mille lieues du cinéma de banlieue habituel, des niaiseries de Luc Besson ou du territoire fantasmé par Jacques Audiard. Le tout, je vous le rappelle, dans une économie dérisoire, tourné sans autorisation dans les rues de Paris ou de la banlieue, et avec l’obligation de mettre la scène en boîte dès la première ou deuxième prise. Devant la caméra, FGKO réussit à réunir un casting vraiment épatant, Salim Kechiouche, vu chez Kechiche, absolument dément dans le rôle de Sam, Abel Jafri, habitué du cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche, Hichem Yakoubi (Un prophète) ou encore le terrifiant Jo Prestia (le violeur d’Irréversible).
Vous savez ce qu’il vous reste à faire…
Voyoucratie
Réalisé par FGKO
Avec Salim Kechiouche, Abel Jafri, Hichem Yakoubi, Jo Prestia.
En salles mercredi 31 janvier 2018
Bonjour,
Le film fait envie, mais je tique sur cette phrase : « Coup de boule dans la tronche d’un cinéma français aseptisé ».
Qu’est-ce que ça signifie, exactement ? De quel cinéma français parle-t-on ?
Du cinéma français social aseptisé comme celui de la Loi du marché ? http://www.dailymars.net/movie-mini-review-critique-de-la-loi-du-marche/
Du cinéma français politique aseptisé de Un Français ? http://www.dailymars.net/movie-mini-review-critique-de-un-francais/
Du cinéma français humaniste aseptisé de Willy Ier ? http://www.dailymars.net/willy-1er-odyssee-du-roi-de-caudebec/
Du cinéma français d’animation aseptisé de Ma Vie de Courgette ? http://www.dailymars.net/ma-vie-de-courgette-un-tres-bio-film/
Ou, pour rester dans le thème de cette critique, du cinéma français d’action aseptisé de Dealer, auquel j’ai tout de suite pensé en lisant votre critique et que vous ne citez même pas, alors qu’il mérite d’être tellement connu ? http://www.dailymars.net/mandales-a-taux-fixe-critique-de-dealer-de-jean-luc-herbulot/
Je trouve qu’introduire la critique de ce film avec une généralité aussi caricaturale nuit au reste du texte, et c’est manquer de respect aux nombreuses productions de qualité qu’on peut trouver en cherchant un peu, comme ça semble être le cas avec ce Voyoucratie.
Cordialement.
J’aurai pas dit mieux. On peut être dithyrambique sur un objet qu’on apprécie sans dénigrer tout le reste.
« Coup de boule dans la tronche d’un cinéma français aseptisé »
Je persiste et je signe. Si j’ai tant aimé ce film, c’est aussi parce qu’il est tellement atypique au sein d’un cinéma français soporifique, prétentieux et vain. Dans les films que vous citez, je trouve que La Loi du marché et Un Français pas vraiment réussis, pour le moins. J’ai défendu ici l’épatant Willy 1er et Ma vie de couette. Mais vous citez 4 films, alors que 250 films français sortent tous les ans. Alors bien sûr, je ne vois pas tous les films français qui sortent en salles, mais à la fin de l’année, au moment des bilans, seulement un ou deux films français restent dans ma mémoire…
Mais cela ne devrait pas vous empêcher de voir Voyoucratie !
On y va !