
Démons sans merveilles (Evil S1 / CBS)
« Some mysteries can’t be explained. » On ne saurait mieux dire. Par quel mystère la production d’une nullité abyssale comme Evil, dont le dernier épisode a été diffusé le 30 janvier sur CBS, a-t-elle reçu un quelconque feu vert ? Sans parler d’avoir validé une seconde saison…
Kristen a quatre filles, comme le Docteur March, et un mari qui se tape l’Everest pendant qu’elle tente de faire entendre sa voix de psychologue au tribunal. Elle perd son job à cause d’un méchant psy concurrent (sûrement un démon) mais en retrouve un aussi sec grâce à David, sorte de Mister T en version Action Joe, baraqué et sexy mais à deux doigts de devenir prêtre. Son idée : que Kristen l’assiste dans ses enquêtes paranormo-religieuses, avec souvent, à la clé, un petit exorcisme de derrière les fagots. Kristen ferait un bon complément à son équipe, composée aussi de Ben, la caution high-tech (“et si c’était tout simplement un empoisonnement alimentaire/de l’amiante/un hacker informatique ?”) de service.
Treize épisodes et pas un de bon. Treize longues fournées de cris, de symboles cabalistiques idiots. On a droit au tout-venant de la série “fantastique” (avec beaucoup de guillemets) étatsunienne : des serial-killers en tôle ou qui-sortent-parce-qu’ils-ont-trouvé-Dieu (avant de reprendre leur air mauvais dès que l’héroïne a le dos tourné). Des Monseigneurs en grande tenue, qui hésitent entre balancer de l’eau bénite ou tout mettre sur le dos d’une psychose. Des vérificateurs en costard envoyés par le Vatican (et qui disparaissent tout aussi brusquement). Des démons qui utilisent la réalité virtuelle d’un jeu vidéo d’horreur pour posséder (enfin, peut-être, on ne sera jamais sûr) des enfants. Un démon tout noir (tiens, tiens) qui visite Kristen la nuit dans son lit (tiens, tiens) – est-il réel ou le fruit de son imagination ? Des anges, ou des âmes, qui apparaissent sur des vidéos d’autopsies. Une borne Alexa possédée, des femmes possédées (pourquoi toujours des femmes ?), des enfants psychopathes, des cauchemars-dans-le-cauchemar-dans-le-cauchemar… Tout ça se résout plus ou moins à la fin de la saison, mais à ce stade, on a cessé de s’en préoccuper depuis belle lurette.
Et régulièrement, on déballe l’étui en cuir qui contient tout l’attirail de l’Exorciste, non sans rappeler Schwarzie se collant des armes partout dans Commando, mais en moins fun.
Rien d’inquiétant dans cette série, bien sûr. C’était plié d’avance mais on avait envie d’y croire. Rien de passionnant dans ce “démon” qui entraîne des jeunes hommes en colère pour en faire des tueurs en masse anti-femmes, et qui, surtout, tourne constamment autour de Kristen et séduit la mère de celle-ci. Une mère rock’n’roll mais qui, décidément, ne se pose pas plus de questions quand sa fille lui parle sans ambiguïté du fait que son petit copain est un psychopathe qui fait libérer des criminels – tout en professant avec une belle constance que “sa famille est ce qu’il y a de plus important dans sa vie”.
Les scénaristes, dans les derniers épisodes de la saison, tentent de donner un peu d’épaisseur au personnage de Leland, le méchant démon/psychologue, mais ils ne parviennent qu’à l’alourdir un peu plus. Mention spéciale pour l’apparition du démon velu, sorte de grand bouc qui s’assied comme un homme et se tient debout sur ses deux pattes (on pense à l’homme-bouc musicien de 300, c’est dire le niveau de la bête). On appréciera aussi tout particulièrement l’épisode crétin à l’hôpital, avec sa resucée du Misery de Stephen King mêlée à l’épisode “Réminiscence” de Buffy contre les vampires (et Dieu sait quoi encore, on perd le fil). On atteint le fond… ou des sommets, c’est selon.
Mal écrits, pas réfléchis, les scénarios sont insipides au mieux, imbéciles au pire, et toujours d’une vacuité absolue. On se prend à ronfler dans les “moments de tension”, notamment parce qu’on les voit arriver avec deux épisodes d’avance et qu’ils n’ont même pas le bon goût d’être bien réalisés. Physiquement, on frôle le cliché raciste, chaque tonalité de couleur de peau restant bien sagement dans sa catégorie dès qu’il s’agit de romance. À part lorsque David et Kristen se touchent le bout des doigts dans le dernier épisode – suprême érotisme, sans doute, pour une série de cet acabit. L’honneur est sauf, le statu quo est rétabli. L’intérêt, en revanche, meurt salement dès le 1er épisode.
On ressort, de ce sous-X-Files à la sauce vaticanaise, complètement essoré. Et l’on repenserait presque avec émotion aux soirées du samedi soir sur M6, malgré la quantité industrielle de daube qu’on a pu avaler à l’époque (Poltergeists, au moins, c’était drôle). Une daube qui avait au moins, pour elle, d’être précisément de l’époque. Quelle est l’excuse d’Evil, exactement ?
Evil (CBS) Saison 1 en 13 épisodes
diffusés sur CBS du 26 septembre 2019 au 20 janvier 2020
Série créée par Robert et Michelle King
Épisodes écrits par Robert et Michelle King, Rockne S. O’Bannon, Davita Scarlett, Dewayne Darian Jones, Aurin Squire, Patricia Ione Lloyd, Nialla LeBouef et Louisa Hill
Réalisés par Robert King, Ron Underwood, Gloria Muzio, Peter Sollett, Tess Malone, Kevin Rodney Sullivan, Jim McKay, James Whitmore Jr., Frederick E.O. Toye, John Dahl, Peter Sollett, Rob Hardy et Michael Zinberg
Avec Katja Herbers, Mike Colter, Aasif Mandvi, Kurt Fuller, Christine Lahti, Michael Emerson, etc.
Un homme dépassé que voilà.
?
Je tombe dans l’imaginaire facile mais j’imagine bien un quadra un peu dépassé par les séries actuelles et qui ne semble pas connaitre la finesse et la sobriété des King.
Qu’on ne soit pas touché par la série, soit, qu’on la critique avec autant de vigueur sur des facilités qui n’existent pas, j’avoue que je suis circonspect.
Oui, cette propension des commentaires sur le Web à se résumer à des arguments ad personam, sans jamais répondre sur le fond (et surtout sans se fonder sur rien), me laisse pour le moins perplexe…
En revanche, je critique quant à moi une série et non une/des personne/s. La « finesse et la sobriété des King » qui s’exprimeraient par ailleurs ne m’intéressent pas : j’ai vu « Evil », j’ai chroniqué « Evil », et je n’ai rien vu qui puisse la sauver.
Je serais VRAIMENT plus intéressé si vous pouviez me citer, mettons, trois dimensions de cette série qui devraient me convaincre que je suis passé à côté. Trois éléments fondamentaux, originaux, forts, surprenants, effrayants, intenses, que sais-je. Je suis tout à fait prêt à l’envisager – mais parlons de la série elle-même, et pas de nous-mêmes.
VINCENT DEGREZ : « …mais parlons de la série elle-même, et pas de nous-mêmes. »
Justement, le noeud du problème réside peut-être là tout entier : la critique des séries est moins intéressante que les personnes pour ceux qui commentent ici. La critiques des individus est plus aisée et n’implique pas que l’on argumente énormément.
Aprés cette critique, je me suis posé cette question : pourquoi est ce que la série est réussie alors qu’en la racontant, elle aparait ridicule.
Je ne sais pas. Peut-être la finesse d’écriture justement. Tout est sobre dans les explications, le ton est modéré. Il y a une fluidité qui me ravit, ce n’est ni « trop » ni « pas assez ». On comprend de suite où on doit situer notre échelle de lecture. La surprise est là dans le ton, l’intensité est là dans le regard, la monstration jamais évidente, l’originalité est là dans le mélange des genres, la force est là dans un pot pourri d’atmosphères impalpables. La frayeur est là dans les imageries que les networks n’oseraient plus (sauf peut-être dans feu The Exorcist)
Tout pareil.
J’ai vu deux trailer de cette série (enfin, deux séries de trailer vu comme on me les a martelé là où je regarde mes séries), et bien j’avais vu juste, à fuir.
Ce que je comprend moins c’est que quand vous savez que c’est de la merde, vous regardez les treize épisodes de merde. Ne vous infligez pas ça, matez le premier, si ça vous plaît pas à la limite donnez une deuxième chance pur l’épisode 2, mais après on est vite sûr quand on aime pas, c’est se faire du mal que d’insister.
Bon courage !
C’est effectivement une bonne question : pourquoi s’infliger toute une saison quand on est à peu près sûr, au bout du 1er épisode (voire avant), qu’on n’y trouvera pas son compte ?
D’abord, parce qu’il arrive qu’une série débute mollement, puis trouve son rythme ou même, par miracle, recèle quelques éléments intéressants au détour d’une scène ou d’un détail de mise en scène. Ce peut être aussi simple qu’un personnage particulièrement attachant ou bien dessiné. En vrai, il est assez rare de constater une absence totale et absolue de points d’intérêt dans une série, à moins de « taper » dans le fond du panier. Mais parfois, c’est le cas avec de « grosses » productions telles que celle-ci. Autre cas possible : il y a de petites dimensions intéressantes, mais elles sont noyées dans un océan de médiocrité et de raté.
Ensuite, parce qu’il me semble que c’est un peu notre « boulot », ici au Daily Mars, de voir des séries jusqu’au bout pour en parler le mieux possible. Et que, si on se limite à ce qui nous plaît a priori, on laissera passer beaucoup de choses et beaucoup de diversité. Et je n’imagine même pas les réactions à une chronique qui dirait : « C’est tellement nul que je me suis arrêté au 2e épisode. »
Enfin, parce que, quand on intitule sa série « Evil », on place la barre très haut et on a intérêt à assurer ensuite (un peu comme le roman « La peur », que j’ai chroniqué récemment). Aller au bout de la saison, c’est donc une façon de tenir les showrunners (et autres) comptables de leurs promesses, au moins au niveau de l’humble spectateur que nous sommes. Moi, quand on me promet une série sur « le Mal lui-même », je signe le contrat et je vais jusqu’au bout.
sachez que vous avez tout mon respect pour votre abnégation. en ce qui me concerne, je ne fais de chroniques que de musique, de fait une écoute même infâme dépasse rarement les 45 minutes, donc même avec des réécoutes mon calvaire est de plus courte durée.
Bonne continuation.
Ceci dit, cela n’empêche pas que je laisse tomber, à l’occasion, une série en cours de route (The Twilight Zone 2019 : j’ai tenu 4 épisodes) ou que j’aie renoncé à la chroniquer, du moins temporairement (Creepshow, pas diffusée chez nous et franchement à chier). Généralement parce qu’une autre série plus intéressante / pertinente s’était présentée. Mais oui, je me dis aussi que des films de 1h30-2h présentent au moins l’avantage d’une souffrance de courte durée, comparée à celle engendrée par 10 fois 40 minutes.
VINCENT DEGREZ : « Physiquement, on frôle le cliché raciste, chaque tonalité de couleur de peau restant bien sagement dans sa catégorie dès qu’il s’agit de romance. »
Bof… La série est suffisamment mauvaise pour ne pas tomber dans ces obsessions contemporaines.
La série est peut-être mauvaise (et à mes yeux, elle l’est pleinement), mais je trouve que, sans « tomber dans ces obsessions contemporaines », nous sommes en 2020 et on pourrait quand même imaginer de ne plus retomber dans des ornières franchement ridicules, du genre : les blancs avec les blancs, les noirs avec les noirs, et chaque nuance avec un.e conjoint.e de sa propre nuance. D’habitude c’est quelque chose que je ne remarque pas vraiment, mais là, ça crève les yeux.
VINCENT DEGREZ : « nous sommes en 2020 et on pourrait quand même imaginer de ne plus retomber dans des ornières franchement ridicules, du genre : les blancs avec les blancs, les noirs avec les noirs, et chaque nuance avec un.e conjoint.e de sa propre nuance. »
Soit, mais j’aimerais comprendre (pour affiner un peu plus votre propos et ne pas répondre sur un malentendu) : vous voulez parler pour toutes les séries ou essentiellement des séries (urbaines ?) du type de celles que vous venez de chroniquer ?
Je parle en général, et plus particulièrement pour les oeuvres de création, qu’il s’agisse de livres, de séries télé, de films, etc. Je trouve cela au minimum fainéant d’adopter une situation où « chaque nuance de couleur de peau reste avec des nuances identiques », mais surtout inquiétant en termes moraux. Quel reflet de la société offre-t-on quand on résume à ce point la réalité à une équation simpliste (chacun chez soi et les vaches seront bien gardées), dans l’espoir de ne choquer personne (i.e. aucune personne prête à prendre les armes, au sens propre ou au figuré) ? Je ne suis pas un défenseur du politiquement correct (« il est obligatoire de mêler les couleurs de peau, sinon on est racistes »). Mais ici, la répartition des couples est vraiment criante de ce qu’on pourrait qualifier de « racisme », il me semble. D’où ma remarque. Stephen King écrit que le genre de l’horreur est un agent du statu quo (le méchant est généralement puni à la fin, la société retrouve sa stabilité). Mais ici, cette constatation est parfaitement dévoyée.
En désaccord complet sur le fond de cette critique lapidaire et selon moi malhonnête.
J’ai commencé la série avec des doutes sur le concept, et une distance polie avec les premiers épisodes, et puis finalement, il y a un déclic, un ton unique fini par émerger, une sorte de Millenium à la Kings. Qu’on ne soit pas réceptif à ce ton, pourquoi pas, mais ça n’a rien à voir avec les qualité évidentes de la série, la subtilité des personnage et du jeu d’acteur, et ces scénarios souvent bien plus malin qu’il n’y parait. Athée anti-clérical convaincu, j’ai trouvé l’équilibre entre les deux pôles particulièrement intéressant à la longue, et ce final « toutéliage » vraiment réjouissant. La série s’envole vraiment dans sa seconde partie, quand on commence à voir le fil directeur devenir un vrai moteur.
Bref, vos comparaison (Schwarzie, 300, Buffy, etc) sont selon moi bien plus crétines que ce qu’elles tendent à « démontré », mais bon, le temps jugera, c’et pas très grave 😉
Pour le côté lapidaire, c’est amusant : j’ai déjà fait des chroniques négatives plus longues, et on m’a reproché un argumentaire interminable… La chronique s’arrête quand j’estime avoir dit ce que j’avais à dire.
« Malhonnête » est un terme intéressant, il faudrait simplement préciser sur quel point porte cette critique. Aurais-je dit du mal d’Evil pour faire du buzz ? Je peux déjà répondre : non. Pour me venger des showrunners ? Non plus. Pour le plaisir de faire des « comparaisons crétines » ? Allez savoir…
Vos arguments, en revanche, me semble se référer au b.a-ba d’une série (et sans doute de toute œuvre de l’esprit) : subtilité des personnages, scénarios malins, fil directeur… Cela ne devrait-il pas être déjà le minimum minimorum ? Ne devrait-on pas attendre davantage ?
Si on annonce une série intitulée « Evil », c’est comme quand on publie un roman sous le titre « La Peur » (http://www.dailymars.net/la-peur-le-ventre-mou-du-thriller) : il faut avoir des arguments pour convaincre, il faut un minimum d’intensité, de tension, de vertige. Mais quand « Le Mal » se résume à un Leland et son sourire en coin, à de pseudo-scènes d’exorcisme molles du genou et à un homme-bouc totalement raté… bref, à un filet d’eau tiède, il me paraît bien difficile, en tant que spectateur, d’être content du voyage.