
Edito : L’illusion de L’Addiction
C’est une vieille rengaine agaçante dont on se serait une nouvelle fois bien passée. Le 04 octobre, le site des Inrocks publiait un article de Sarah Dahan intitulé « Les séries ont-elle pris le contrôle de nos vies ? » Tout un programme, à ranger entre Bernard de La Villardière et Roger Gicquel. Si on ne juge pas un livre à sa couverture, ne faisons pas la même erreur avec un titre. Le chapô vient balayer tout doute possible : « drogue dure », « tyrannie sociale », « esclave des séries », quelques mots-clés qui donnent le ton d’un article qui se fourvoie dans une position intenable.
Il y a, à la base, un problème de champ lexical. On ne consomme pas de séries. On les regarde, les critique, les analyse, pour se cultiver ou se divertir. On consomme un produit. La série est un art. Il n’existe pas d’addiction, de dépendance aux séries. Nous ne sommes pas esclaves. En avril de cette année, pendant le festival Séries Mania, le journaliste Thomas Destouches animait une conférence intitulée non sans ironie : La réunion des sériephiles anonymes : sommes-nous vraiment addicts ? Il démontrait de façon ludique et clairvoyante qu’il n’existe aucune pathologie à regarder des séries, que le binge-watching n’a pas attendu Netflix pour apparaître et cite, Stephen Kaplan dans un article publié sur le site… des Inrocks, sur les bienfaits réparateurs de cette pratique.
Sarah Dahan manipule les mots pour faire entrer l’art sériel dans une lecture pathologique. Nous ne sommes pas accros au sens médical du terme après trois ou quatre épisodes. Nous répondons aux qualités des scénaristes à nous faire regarder l’épisode suivant. Tout le principe des séries repose sur une notion de rendez-vous régulier, de récit séquencé, invitant à découvrir la suite une fois l’épisode achevé. Pas par besoin maladif mais pour le plaisir. À la fin de sa conférence, Thomas Destouches exprime parfaitement cette notion particulière : « Accepter le manque et la frustration : partie intégrante du plaisir ? Détournement total de la notion de cliffhanger qui ne doit pas être un argument pour enchaîner, mais un outil de frustration qui doit faire suffoquer et faire monter la pression « jusqu’au » prochain épisode. En clair : si le plaisir est là, tout va… La notion de plaisir est centrale dans les séries, pas seulement celle de l’empathie ou de la fidélité ou de la persévérance. Il ne faut donc pas oublier le plaisir, car c’est cela qui vous fait devenir fidèle ou vous fait rester fidèle. » Notez l’importance des termes employés. Thomas Destouches parle de fidélité, pas d’addiction.
Sarah Dahan perpétue des idées infondées qui, à force d’être malheureusement répétées, finissent par produire un écho persistant. Pris tout seul, l’article des Inrocks est insignifiant. Mais il participe à un brouhaha vicieux qu’il faut éteindre. Il n’existe pas d’addiction aux séries. Les séries ne contrôlent pas nos vies. Nous ressentons le plaisir de les découvrir, de les suivre. Et au même titre que les autres arts, elles gonflent notre culture.
Très intéressant.
Avant tout, je précise que je me range en grande partie à ton opinion. J’admets aussi ne pas avoir lu cet article, ni n’en avoir l’intention. Malgré tout, il y a un aspect dans cette approche aux séries par l’angle de la pathologie qui m’interpelle pour l’avoir expérimenté à mon corps défendant, et alors que je n’aurais pas pensé à l’intégrer dans ma réflexion si je ne l’avais pas vécu.
Pourquoi donc continue-t-on à suivre une série devenue tellement mauvaise qu’on ne puisse plus en tirer la moindre satisfaction au visionnage ?
Je citerai en exemple, pour ce qui concerne mon cas personnel et parce que c’est le plus récent, Arrow, la série de la CW adaptant les aventures de l’archet vert de DC Comics. Ne me jugez pas s’il vous plaît, je suis quelqu’un de très fréquentable par ailleurs.
Il se trouve que j’ai décidé d’arrêter les frais à la fin de la saison dernière, la quatrième. Or, la série m’insupporte franchement depuis la fin de la saison 2 pour devenir imbuvable les deux suivantes. Cela représente donc deux ans et demi d’acharnement de la part de quelqu’un se considérant comme équilibré et raisonnable (comment ça, il est déconseillé au patient de s’auto diagnostiquer). D’aucuns pourraient penser que c’est quand même beaucoup.
Alors mon entêtement provient-il du fait que j’ai espéré un regain de qualité ?
Au début, sans aucun doute. Cependant, il m’est rapidement apparu que les défauts de la série étaient présents dès le début et qu’ils étaient simplement de moins en moins bien cachés. J’ai déduit de cela que la baisse dramatique de qualité n’était pas un accident de parcours et qu’il n’y avait pas de raison logique d’attendre des scénaristes qu’ils corrigent des réflexes d’écritures qu’ils ne considéraient pas comme des défauts mais probablement comme des outils faisant l’identité de la série.
Et on est là au milieu de la saison 3. Il reste donc encore un an et demi avant que je ne décide d’en finir avec Arrow.
Est-ce que je trouve tout de même de quoi picorer dans ce marasme ?
Non, même pas. Les points forts de la série s’estompent tous. Les cascades deviennent génériques, les nouveaux méchants perdent un peu plus de leur charisme à mesure qu’ils remplacent les anciens, les relations entre les personnages circonvolutionnent de plus en plus, etc.
Conclusion ?
Regarder cette série est devenu pour moi une mauvaise habitude que j’ai beaucoup de mal à laisser tomber. Pas aussi forte qu’une drogue dure, mais aussi gênante que la cigarette une fois qu’on a compris que c’est pas bon pour la santé.
Cela vient à mon avis de la spécificité du format série qui s’inscrit dans la durée en créant un rendez-vous régulier sur de longues périodes avec ses téléspectateurs. Et il s’agit là d’un des objectifs de base de la formule : rendre l’audience non pas accro, mais prisonnière de ses habitudes. Ce n’est qu’une question de degré entre ces deux notions.
Pour preuve, le cahier des charges spécifique à chaque série indiquant les éléments à retrouver dans chaque épisode comme le monstre de la semaine dans Buffy, ou plus généralement l’enquête de la semaine dans n’importe quel cop show, afin de faire savoir au spectateur qu’il aura ce qu’il vient chercher à chaque fois.
Ou encore la diffusion à une date et une heure précise et dont le changement en cours de saison ne peut être que l’aveu d’un échec (d’ailleurs, les chaînes restent réticentes à changer la case horaire d’une série d’une saison à l’autre). Un principe évident, mais dont l’unique objectif est d’inculquer un comportement au téléspectateur ; celui de mettre ses pantoufles, s’assoir dans son fauteuil massant, d’allumer sa télé et de ne pas rater le début de sa série le moment venu.
Parce que oui, il ne tient qu’à nous de dire oui ou non et faire notre sélection dans l’offre qui nous est proposé ; et oui, les scénaristes, acteurs, producteurs ainsi que tous ceux qui bossent sur une série ne pensent qu’à délivrer le meilleur objet culturel (pour ne pas dire produit fini) possible. Mais cela ne signifie pas que des mécanismes psychologiques plus complexes ne sont pas à l’œuvre de part et d’autre de l’écran télé.
Maintenant, j’ignore si l’article publié dans les inrocks aborde ces arguments, mais si ce n’est pas le cas, je trouve tout de même que la question reste pertinente. Certes, je ne pense pas qu’elle contienne entièrement en elle la problématique de notre relation aux séries télé, loin de là, mais elle reste un axe de réflexion intéressant.
Questionnement de base intéressant et analyse qui remet bien les choses à leur place.
La question de l’addiction est surtout celle de l’impact négatif sur sa vie à mon sens.
Quelqu’un qui adore sortir en concert, tester des restos, lire ou regarder des séries mais n’arrive pas à se maîtriser rencontrera des problèmes à un moment quelque ce soit son « addiction ».
Il est de bon ton de catégoriser les choses sous des noms de pathologie pour avoir l’impression de mieux les comprendre et maîtriser. C’est un principe scientifique qui fonctionne bien mais qui va généralement de pair avec une certaine prudence qui elle disparaît dans les médias (gros problème de la vulgarisation scientifique) et se transforme en affirmations sensationnalistes dont la pertinence est bien souvent surestimée.
Le schéma est le même pour toutes les nouveautés (rock, bornes d’arcades, série-tv, ordinateur…) et ne se privent pas de faire des boucles temporelles à chaque petit ajustement (jeux-vidéos sur console, Internet et Meuporg 😉 etc.).