
Hannibal, cauchemar en cuisine
Community et Hannibal sont diffusées par le même network : NBC. D’un côté vous avez une série adorée d’un faible contingent, peu coûteuse (de moins en moins coûteuse, pour être juste), pensée par un scénariste-showrunner omniprésent, brillant et “difficile”. De l’autre, une série qui traîne derrière elle une fanbase nombreuse, qui possède un titre reconnaissable entre milles, pensée par un scénariste-showrunner omniprésent, brillant et moins “difficile”.
D’un côté, vous allez entendre Harmon se plaindre constamment de ses rapports avec les exécutifs de la chaîne (1) qui remettent en cause la moindre de ses idées. De l’autre, vous avez Bryan Fuller qui se permet à peu près tout avec son show, mais est traité avec la plus grande bienveillance. L’une s’arrête, à la satisfaction même (semble-t-il) de son showrunner, l’autre continue, à la grande joie de tout le monde.
Ce que NBC refuse à Community (repousser les limites du format sitcom avec le risque de parfois se planter, en embrassant la vision de son auteur principal), elle le tolère, l’accepte, le valide chez Hannibal. Et pourtant, là aussi, les frontières sont repoussées. Hannibal ne ressemble à aucune autre série à l’antenne sur les grandes chaînes. Et à très peu sur les chaînes câblées. À côté d’Hannibal, Dexter (pourtant diffusée sur la payante Showtime) fait figure de drama aseptisé.
La série entremêle ses arches narratives avec une totale liberté. L’enquête qui ouvre la saison ne trouvera sa résolution que dans l’épisode suivant. L’arche de la famille Verger commence par touches avec l’introduction du personnage de Margot (hypnotique et fascinante Katharine Isabelle). On ne découvrira son frère Mason en chair (chair, hum-hum) et en os que bien plus tard. Michael Pitt le campe avec un maniérisme de tous les instants qui rappelle le Joker Nicholsonnien. Jamais les personnages ne sont présentés de manière frontale. Personne ne vient exposer son background maladroitement. Un personnage arrive, vous devez l’admettre en tant que tel, et, sagement, vous patientez pour en savoir plus.
Le message de Fuller, c’est : “Vous êtes toujours devant notre série, c’est donc que vous la comprenez. On ne va pas s’épuiser à draguer des gens qui regardent Bones ou Castle, autant y aller à fond pour vous”. Et les happy few que nous sommes jubilent.
Hannibal n’a pas peur de la violence. Elle y est toujours graphique à l’extrême. La mise en scène qui valorise et rend sexy les plats cuisinés par Hannibal Lecter prouve qu’elle n’a pas peur de créer le malaise. La musique n’en est pas une : c’est un accompagnement auditif qui souligne la monstruosité de ce qu’on regarde. Par bien des aspects, Hannibal est un enfant illégitime d’X-Files. Les mélopées de Mark Snow sont ici poussées à leur paroxysme dans une négation constante de la recherche mélodique. L’éclairage de la série pousse le clair-obscur dans les limites de ce qui est montrable (ou plutôt visible) à la télévision. Tout pour donner du sens.
Invité au Nerdist Writers Panel, Bryan Fuller confia que le sens, il en cherchait dans tout. Aucune conversation, aucun plan, aucune situation ne doit en être dénué. Il cherche d’abord le sens, ensuite la façon dont il va le mettre en scène. Ça donne parfois des moments un peu surlignés, un peu appuyés en terme de symbolisme. D’autre fois, plus souvent, c’est juste brillant. Les dialogues d’Hannibal sont, avec ceux de Justified dans un genre et une optique très différents, parmi les meilleurs entendus à la télévision en ce moment.
Dans sa recherche du sens, Bryan Fuller oublie parfois la crédibilité. Difficile d’imaginer, dans un univers où la science permet d’identifier tout le monde, tout le temps, qu’Hannibal puisse passer entre les mailles du filet du moment que Jack Crawford a un doute le concernant. Si c’est peu crédible, c’est cohérent vu ce qu’on nous raconte. C’est émotionnellement crédible.
La saison se divise en deux parties distinctes : Will enfermé / Will libéré. Les deux fois, il doit sa situation au seul Lecter. Sa némésis. Son meilleur ami, surtout. Will enfermé retourne l’estomac. On est face à un homme enterré vivant qui hurle pour qu’on le déterre. Et personne ne l’entend. Ni Jack, ni Alana, soutiens d’autrefois, ne le croient. Ils sont tous les deux séduits, aveuglés par un Hannibal Lecter qui masque son machiavélisme derrière une tristesse de façade. Quand Lecter commence à s’ennuyer de Will, il le fait sortir, presque par un coup de baguette magique.
Dans la seconde partie, la notion d’histoire d’amour platonique entre ces deux personnage atteint son paroxysme. Hannibal prend Will sous son aile, veut lui montrer sa façon d’être. Voir Will le suivre, se transformer est un crève-cœur bien plus dérageant encore que l’avoir vu emprisonné. De martyr à monstre. S’engage entre les deux un jeu d’attraction-répulsion d’une perversité sans borne. La notion de jeu est importante car Will et Hannibal sont fascinés l’un par l’autre. “Et si je te mettais dans cette situation, comment réagirais-tu ?”. Un jeu d’expérimentations qui va très loin, mettant en danger de mort les deux intéressés.
Fuller ne s’est jamais caché d’avoir écrit une love-story entre Hannibal Lecter et Will Graham. Il en parlait même la saison dernière. Il les fait presque consommer cette attirance cette saison, via une scène en montage alterné montrant les deux héros avoir des relations sexuelles en même temps avec deux partenaires différentes. Un plan clôt l’enchaînement, montrant d’un côté du lit Hannibal, de l’autre Will, au centre la partenaire de Lecter.
[On finit en SPOILERS, désolé] On passe dans cette saison comme dans un long cauchemar : celui de Will Graham. Et pourtant, à mi-saison, il semble emprunter le chemin de la vengeance. Il revient changé pour se faire justice. S’il est le même physiquement, il arbore un costume éloigné de ce qu’il portait auparavant. D’une classe folle, il semble mimer le comportement de Lecter pour mieux l’endormir. Will se la joue Comte de Monte-Cristo, et ça marche… ça marche tellement que jusqu’à un certain point, nous, spectateurs, sommes aussi dupés.
Le final de la saison est proprement vertigineux. Will et Jack ont monté une supercherie depuis la sortie de prison de Will. Le but est de surprendre Hannibal pendant l’acte, et ainsi n’avoir aucun doute sur sa culpabilité. Mais Lecter est malin. Ils doivent dépasser les bornes et provoquer eux-mêmes la situation. Soit : mettre en danger de mort Jack Crawford. L’homme est en train de perdre sa femme, il n’a plus rien qui le retient sur terre. La confrontation finale, entraperçue dans le premier épisode de la saison, connaît un épilogue qui laisse sans voix. Tous les personnages qu’on aime sont laissés entre la vie et la mort. Le seul à s’en sortir sans une égratignure, c’est Hannibal.
La saison 3 tournera, du moins dans un premier temps, autour de la traque du cannibale. Mais avec qui ? En utilisant des éléments issus d’autres bouquins, Fuller, qui lui même se définit comme un mash-up DJ des œuvres d’Harris, a fait comprendre qu’il semble bien se distancier suffisamment du matériau d’origine pour nous surprendre. Il en extrait ce qui lui semble être le meilleur, et fait son propre récit. Comme un auteur de série historique, en somme. Aucun moyen de savoir qui va survivre au terme de cette saison éprouvante.
À part le Diable. À part Hannibal.
(1) : Il n’est pas question ici de remettre en cause les propos de Harmon. Il n’a aucune raison d’exagérer la situation, vu ce que ça peut lui coûter pour la suite de sa carrière.
HANNIBAL, Saison 2 (NBC)
Créée et showrunnée par Bryan Fuller
Avec : Hugh Dancy (Will Graham), Mads Mikkelsen (Hannibal Lecter), Laurence Fishburne (Jack Crawford), Caroline Dhavernas (Alana Bloom), Hettienne Park (Beverly Katz), Michael Pitt (Mason Verger), Katharine Isabelle (Margot Verger)
Je n’ai pas réussi à accrocher à Hannibal. C’est beaucoup trop cérébral. A chaque scène, chaque dialogue, il faut réfléchir pour essayer de bien comprendre ce qui vient de se passer, le message qui a été passé. Il me faudrait revoir trois fois chaque épisode pour être sûr d’avoir bien compris. Je suis peut-être plus con que la moyenne, mais ça m’a fatigué 🙂 Pourtant c’est vrai que votre critique fait envie. Mais comme vous le dites, les créateurs de la série se sont fait plaisir. Et m’ont laissé sur le bord de la route.
Merci, j’attendais ton point de vue sur la série depuis le dernier épisode! ATTENTION PLEINS DE SPOILERS DANS CE COMMENTAIRE.
Je ne suis on ne peut plus d’accord avec toi, concernant le format très particulier de cette série. Une certaine lenteur, parfois trop, qui laisse les personnages dans leurs délires, leurs rêves. Parfois une trop grosse omniprésence du Rennes, et résultat, ça manque de surprise à chaque fois que Will «s’enfort/rêve/réfléchit ».
En même temps, c’est cette lenteur qui permet de comprendre chaque personnage et surtout le parcours personnel de Will de « je suis enfermé/je hais hannibal/ je tente de le tuer/ je tue quelqu’un d’autre/ je le sauve/ je lui téléphone ». Un long cheminement qui peut expliquer une certaine lenteur. En même temps, c’est aussi dans cette saison que Will revient sur le spectre autistique, qu’on avait totalement perdu de vue à la fin de la saison précédente. Non, Will Graham n’est pas juste un profiler. Il a été blessé, trahi, et il est dans un univers autre que celui de Jack, d’Alana, des autres. Il est moins une pièce rapportée, qu’on met dans une salle pour qu’il trouve le meurtrier et qu’on remballe, comme le craignait Nicolas Robert la saison précédente.
Ensuite, Hannibal. J’ai trouvé que c’était la saison qui laissait apercevoir ses défauts. Ses prises de paroles sont toujours aussi travaillée, et parfois un peu pesante. Un langage tarabiscoté, une volonté d’user du double sens parfois trop souvent et c’est fatigant. Ses défauts apparaissent surtout quand il remplace Will en tant que psy de service dans l’équipe de Jack. Il est alors plus gauche, moins à sa place, et en fait, plus humain.
Finalement, c’est une saison placée sous le signe de l’égo, du moi. En prison, Will a le temps de penser, de réfléchir, de se transformer. Il n’est plus que le patient d’Hannibal, il devient son double, de façon suffisamment floue pour que l’on se demande ce qu’il en est réellement. C’est le fameux : qui suis-je ? Suis-je ce que je fais (Sartre est dans la place attention) ? Ce que je veux faire ? C’est d’ailleurs en faisant appel à l’égo d’Hannibal que Will espère le perdre. C’est dans un jeu malsain et franc à la fois que les deux hommes évoluent à jeu presqu’égal. Hannibal devient trop sur de lui, ses prises de paroles et ses sous-entendus ne sont que des voiles transparents sur ce qu’il est. Mason et Margot Verger le voient et ne meurent pas. Le « monstre » sort de l’ombre, sûr de son impunité. Sûr de son plan final jusqu’à la trahison, si terrible, qu’il tue le rêve de la vie qu’il aurait pu mener avec Will. Hannibal saison 2, c’est l’histoire d’une sérénade qui s’achève dans le sang.
Mais c’est aussi une série que je tiens à critiquer du point de vue de ses roles féminins. La femme dans cette saison est soit manipulée, soit morte. Alana, Freddie, Bella, Myriam, Margot qui souffrira de la perte de cette féminité, ne sont absolument pas maitresses de leurs destins. Beverly entrevoit la vérité et meurt. Misha est morte. Les seuls à maitriser la série et le jeu de marionnettes sont des hommes : Hannibal, Will, Jack.
La seule dont le rôle reste sujet à caution est Bedelia. Elle est suffisamment intelligente pour voir la vérité, s’enfuir à temps mais revenir… et sa place dans le final me semble vraiment mauvais. J’extrapole : Hannibal souhaite créer une famille monoparentale avec Will, qui le rejette. Triste, il tue tout le monde et s’en va avec une belle blonde dans un avion à l’autre bout du monde. Heu… sinon, qu’aurait-elle fait si Will était partit avec Hannibal (qui a sans doute l’étreinte la plus passionnelle avant de donner le coup final. Si quelqu’un cherchait à représenter la mort amoureuse, il n’aurait pas fait mieux. J’ai trouvé le moment où va donner le coup de grâce à Will bien plus érotique que la scène d’amour) ? Bedelia est un twist qui me semble un peu surfait (on aime tellement Gillian Anderson qu’on veut trouver n’importe quelle solution pour la faire rester) (je me retiens de parler de caution hétérosexuelle, mais de justesse).
Après, j’ai adoré cette série, qui pousse, comme tu l’as dit, repousse les limites de ce qui est montrable, psychologiquement et physiquement, à la télé. Entre l’auto-cannibalisme, la lacération, les mœurs douteuses… c’est d’autant plus incroyable que l’on y trouve un sens, pervers et malsain, mais intriguant. C’est une série d’une grande beauté visuelle, musicale mais qui reste, pour le moment, à mon avis, un peu trop masculine. En attendant l’arrivée de Clarice Starling ?
Un vrai bon créateur/showrunner ce Fuller… et qui redéfinit le terme adaptation, tant celle-ci est inspirée et cohérente. Les libertés prises avec le matériau original sont légion, mais comment lui en vouloir vu le résultat… Un pilote dans l’avion, adoubé par ses pairs, respecté par ses boss malgré des audiences moyennes. Si Game Of Thrones avait pu suivre la même voie et se détacher de l’influence malsaine de Martin on aurait actuellement deux adaptations haut de gamme actuellement à la TV US. Pour une fois qu’un network fait la nique au câble… chapeau l’artiste.