
Horror : l’horreur de vieillesse de Dario Argento
Un recueil de nouvelles signées Dario Argento ? On suit les yeux fermés, tant, de L’Oiseau au plumage de cristal à Phenomena en passant par le sublime Suspiria, le réal rital nous a offert quelques-unes des images les plus fortes et belles du septième art. Mais on pleure des larmes de sang : tout ou presque y est d’une banalité confondante. À oublier.
L’histoire : Six nouvelles fantastiques situées dans l’Italie contemporaine, dans la France de Gilles de Rais ou sur une île de Singapour, signées par l’un des maîtres de l’horreur au cinéma, Dario Argento. D’un “cauchemar dans le musée” à des terroristes dézingués par des varans inspirés par une divinité locale, en passant par le baron pédophile, une villa connectée au passé et des rites de sorcières, l’Argento ratisse son bon vieux jardin thématique.
Mon avis : Il n’y a pas si longtemps, je parlais dans cette rubrique de ces “blurbs” ridicules d’emphase au regard du produit concerné. Il s’agissait alors de James Herbert, dont le roman Fog méritait bien peu les louanges de Stephen King himself (sauf peut-être à l’époque de sa sortie, allez savoir).
Dans la série “faut pas pousser”, le pompon revient désormais à Guillermo del Toro. Le réal mexicain, déjà très surfait en lui-même, a la main lourde lorsqu’il doit exprimer son admiration, lui qui n’a pas hésité à dire du présent recueil : « C’est le Colisée des histoires d’horreur, un monument, un jalon. Dario Argento est un dieu, le mien. »
Que l’auteur du catastrophique Pacific Rim attribue une forme de divinité à Argento, pourquoi pas. Toute la première partie de la filmo de ce dernier le justifierait sans aucun doute. De là à voir un « Colisée des histoires d’horreur » dans le recueil fainéant du réal rital, il y a un pas qu’il conviendrait de ne pas franchir, Guillermo lui-même étant assez inégal côté collaborations pour des bouquins (sa Forme de l’eau avec Daniel Kraus était très bien, son roman The Strain avec Chuck Hogan était d’une nullité abyssale).
Car dans Horror – Histoires de sang, d’esprits et de secrets (le titre complet), on ne trouve guère de raisons de s’effrayer, de frissons, de surprises. Ce ramassis de textes tièdes, sans l’once d’un soupçon d’originalité, laisse pensif. À 79 ans (le 7 septembre prochain), Dario Argento sembler tenter de se reconnecter à ses atmosphères des années 70 et 80, à cette tension qu’il parvenait à atteindre et à tenir sur une heure et demie, à ce mélange de sorcellerie, de sexualité, de couleurs saturées. Mais il s’est perdu en route.
Les quatre premières nouvelles prennent place dans une ville italienne différente : Florence, Rome, Bagheria, Merano. Puis l’auteur déplace le curseur vers le passé avec Gilles de Rais, avant de revenir à la période contemporaine sur une île de Singapour. On voyage un peu, et c’est quasiment le seul (petit) intérêt de ce livre. Car pour le reste, on a la désagréable impression de voir Argento tenter désespérément de retrouver sa magie giallesque et échouer lamentablement à produire quoi que ce soit d’un tant soit peu fort.
Une nuit au musée totalement banale, avec un discours un peu lourdingue sur les femmes victimes à travers l’histoire et l’art. Une poursuite très “giallo” avec une inversion des genres, un homme (plutôt que l’éternel agneau sacrificiel féminin) semblant poursuivi par un fou tueur, avec comme élément déclencheur… un échange de téléphones portables – une idée déjà ultra-rabâchée voici 40 ans, parfaitement indigne du réalisateur de Phenomena.
Les ressorts dramatiques sont partout distendus à force d’avoir servi, les motifs horrifiques usés jusqu’à la corde, les “twists” finaux d’une pitoyable banalité, à croire qu’ils lui ont été soufflé par un gosse de huit ans
Çà et là, c’est vrai, quelques éléments attirent un peu plus le regard. L’une ou l’autre phrase surnage (« Les murs sont des monstres qui mastiquent et régurgitent » : dans un contre contexte, cela pourrait marcher). Le “corps immense” d’Inge (dans “Les oubliettes de Merano”) est intéressant dans sa dimension d’“inquiétante étrangeté”, avec un retour du sexuel mieux maîtrisé ; il est surtout vu de derrière par un jeune garçon : « On ne dirait même pas une femme. »
On jette l’éponge avec le texte sur Gilles de Rais, où deux trames narratives se croisent, celle consacrée au “baron meurtrier” et celle qui suit la petite Jeannette. Cela ne mène à rien de concret. Pas de vraie chute. Pas d’intensité.
Voici donc six histoires curieusement peu cruelles (et peu crues) au regard du cinéma d’Argento dans son âge d’or. Le réalisateur tombe dans tous les pièges stylistiques, dans tous les clichés, avec des tournures comme : « sa démarche sensuelle, sa manière féline de bouger », « la mystérieuse métisse », sa gorge « serrée comme dans un étau ». Et atteint parfois le comble du ridicule, avec le passage (d’un sentimentalisme débile) cité ci-après.
Dario Argento a oublié qu’il devait nous faire ressentir les choses, et non se contenter de nous les dire ou décrire. Sa « plainte chorale satanique », on ne l’entend pas. Le comble pour un réalisateur pour qui le son était à ce point important. On préférera donc, plutôt que de perdre du temps avec ce seau d’eau tiède, reparcourir quelques-uns des chefs-d’œuvre du maître, avec un whisky tourbé à la main et en écoutant la bande-son signée Goblin.
L’extrait : « Quand ils arrivent aux cuisines, la scène devant leurs yeux est atroce. Les cuisiniers et les employés des entrepôts, tous en uniforme blanc, sont morts ; les uns allongés sur le dos, les autres repliés sur eux-mêmes, sur la table ou sur les fourneaux, dans un bain de sang. Apparemment, quand les employés ont essayé d’échapper au massacre, tout a sombré dans le chaos : certains, en tombant par terre, ont emporté des assiettes et des marmites ; il y a des débris de verre et de bouteille partout, des bidons renversés sur le sol, avec de l’huile mélangée à du sang, des restes de nourriture et des morceaux de fruits.
Dans les entrepôts, les corps sont couchés sur des (sic) grandes boîtes, sur des sacs de farine et de grains, troués par les balles. Les cadavres ont les yeux et la bouche ouverts : leurs visages racontent la terreur vécue avant d’être tués.
Un bruissement soudain surprend les deux jeunes gens, immobiles, paralysés d’horreur, les yeux rivés à ce massacre. Ils se tournent d’un bond et voient une petite souris qui gambade à toute vitesse parmi les graines sorties des sacs. Les mains de Nazrin et d’Adilah se cherchent et se serrent inconsciemment, immobiles, dans un élan de peur et d’amour. Dans un silence complice, ils se font la promesse de sortir de cet enfer et de rester ensemble, pour toujours. »
Horror – Histoires de sang, d’esprits et de secrets
Écrit par Dario Argento
Édité par Rouge Profond
Excellente chronique, Vincent. Il semble que le sieur Argento ait quelque peu perdu de sa superbe…
Merci Philip ! Cela pose surtout une question, je trouve : pourquoi un éditeur juge-t-il bon de sortir un tel seau d’eau tiède ? A part le fantasme d’éditer Argento, l’idée de montrer une autre facette de son travail… OK, mais c’est tellement mauvais ! Cela ne sert même pas sa perception par le public. Un peu comme si Carpenter avait commis un roman qui serait un sous-« Assault on Precinct 13 » sous forme de roman mal foutu, presque kitsch à force de courir derrière son sujet.
J’aurais adoré aimer ce recueil. Un recueil de nouvelles par Dario Argento, je connais peu de proposition aussi intéressante de prime abord… même si on ne peut s’empêcher de craindre le pire.
« Cela pose surtout une question, je trouve : pourquoi un éditeur juge-t-il bon de sortir un tel seau d’eau tiède ? »
Hélas, cela tient, vraisemblablement, au seul nom de l’auteur susnommé. D’autres critiques avancent même le caractère « sop-horrifique » (dixit le blog « Quoi de neuf sur ma pile ») du présent recueil…
« Sop-horrifique », c’est très bon, je le ressortirai à l’occasion 😀
En réalité, je ne pense vraiment pas que l’éditeur ait voulu faire de l’argent avec le nom d’Argento (qui ne doit guère en rapporter aujourd’hui, je suppose). Un livre simplement né d’une admiration pour le réalisateur, le créateur, l’auteur de « Suspiria » et autres chefs-d’oeuvre, et l’envie de montrer une autre facette de sa production. Comme quoi, l’admiration peut mener à l’errance, parfois.