
Sans risque et sans surprise (critique de Luther, saison 3)

© BBC / Robert Viglasky
Diffusée entre le 3 et le 23 juillet sur BBC1, la troisième saison des enquêtes du Detective Chief Inspector John Luther se devait de transcender un concept déjà en voie d’usure dés son deuxième printemps. Amère déception : malgré quelques beaux restes, ces quatre nouveaux épisodes poursuivent la banalisation de la série et même si l’ensemble évolue au-dessus du tout-venant, l’ennui guette. On attendait une claque, on a senti à peine un souffle… Il est peut-être temps de rendre le badge, John.
ATTENTION : SPOILERS MINEURS
Avant, John Luther était l’un des plus fascinants personnages de flic à la dérive vu à la télé, mais ça c’était avant… Dés les premières secondes de l’épisode pilote, en 2010, on l’avait découvert cavalant après un serial killer qu’il finissait par rattraper en haut d’un bâtiment pour le lâcher délibérément dans le vide, ivre de ses pulsions bestiales. On l’a retrouvé en 2011 ravagé par la mort de son épouse Zoe, jouant à la roulette russe à l’heure du café. Et en 2013, dans le premier épisode de la saison 3 ? Luther compte fleurette à une vendeuse blonde rencontrée par hasard à l’occasion d’un accrochage en bagnole, dans une scène à peine digne de la Boum 2 ou d’un roman photo à la petite semaine.
La saison 2 avait déjà entamé la banalisation d’un héros télé qui certes, ne brillait pas spécialement par son originalité mais qui au moins captait l’attention par son statut de bombe à retardement et le charisme atomique de son interprète. Et même si la fin du second cycle n’égalait pas, loin de là, la puissance tragique “Seven-esque” des épisodes 1.5 et 1.6, il proposait justement un écho symétrique en forme de rédemption qui pouvait faire sens et nourrissait l’attente d’une saison 3 de nouveau en enfer. Las, Idris Elba en impose toujours, mais son personnage n’a plus rien de barré, hormis un interrogatoire évitant in extremis le défenestrage et quelques charmants effets de mine renfrognée/mains fourrées dans les poches du pantalon (voir photo 1).

© BBC / Robert Viglasky
Luther semble avoir fait la paix avec ses démons et la série fonce droit vers un format classique avec le vilain tueur dingo de service, quel ennui… Pour hanter Luther un minimum en guise d’arche narrative, Neil Cross nous fait le coup de la cellule secrète décidée à faire tomber notre héros en interne pour ses méthodes expéditives. Voire pour meurtre. Constitué d’Erin Gray (l’ex-subordonnée de Luther) et d’un flic rugueux sorti de sa retraite pour l’occasion et nommé George Stark, le binôme sous-marin attire le jeune Justin Ripley dans son QG (l’arrière salle d’un boui-boui) pour l’enrôler contre Luther. Après tout, pourquoi pas ? On tousse davantage lorsque les sournois soupçonnent très sérieusement Luther d’être le coupable direct ou indirect de plusieurs morts des deux première saisons… y compris celle de sa femme ! On ne comprend pas bien ce que vient faire punaisée au mur des victimes la photo de Zoe Luther, d’autant que Justin, qui n’a jamais cessé de croire en Luther en saison 1, sait (et le spectateur avec) que son patron est totalement innocent de ce meurtre-là. Les faits reprochés à Luther s’avèrent du coup un peu nébuleux, ce qui n’empêchera pas Ripley d’accepter en cinq minutes de piéger Luther… juste après une technique d’interrogatoire par Stark violemment pas réglementaire !
A vrai dire, malgré les qualités d’interprétation de Nikki Amuka-Bird (interprète d’Erin Gray) et surtout David O’Hara (George Stark), rien dans cette trame liée à l’opération anti Luther ne tient debout et s’avère d’un ennui sans nom, échouant cruellement à nous passionner pour finalement s’écraser dans un grand nulle part en seconde partie de saison. Le sentiment persistant d’une écriture paresseuse enfle ainsi peu à peu au fil des épisodes : le premier segment néglige plusieurs éléments de continuité avec la saison 2 (Luther a changé de logement et sa petite protégée prostituée s’est vaporisée : zero explication, ok…), moult incohérences t’interpellent (alors qu’il est l’ennemi public n°1, Tom Marwood semble aller où bon lui semble dans Londres, fusil à pompe en main, sans jamais être inquiété…) et la plupart des intrigues sentent la redite. Y compris l’élimination brutale d’un personnage important, qui ressemble davantage à une cartouche opportuniste pour scénariste en manque d’électro-choc qu’à une véritable nécessité dramatique.
Un impression générale de gâchis

Luther tout niaiseux face à la jolie Mary Day (Sienna Guillory). L’amour peut-il revenir dans la vie du détective maudit ?
Très élégamment mise en scène et photographiée, comme les précédentes, malgré un abus du grand angle dans le premier épisode, cette saison 3 comporte encore cependant quelques beaux restes : Idris Elba, évidemment, toujours aussi magnétique (y a rien à faire…) mais aussi de jolis moments de terreur qui sont devenu la marque de fabrique de la série. Obsession du créateur/showrunner Neil Cross depuis la saison 1, la hantise du “home invasion” plane encore sur les deux premiers segments via l’effrayant serial killer Paul Ellis, zigouilleur de femmes à domicile. La première apparition du cintré, dans la maison de la pauvre Emily Hammond, au terme d’une très belle scène introductive, vaut son pesant de “jump scare” façon Insidious, tout comme le meurtre des époux Lane à la fin de l’épisode, traumatisant. Dommage que Cross, auteur en solo des scripts, ait complètement raté la sortie de ce personnage somptueusement maboul au terme d’un face à face avec Luther expédié presto…
A propos de maboul : et Alice Morgan (Ruth Wilson) dans tout ça ? La rouquine psychopathe et joueuse, arch nemesis de Luther et carte maîtresse de la série, n’allait bien évidemment pas passer toute la saison à calter en Europe en envoyant des cartes postales à son flic chouchou… Et surtout, Ruth Wilson, aussi charismatique dans son genre qu’Idris Elba, électrise systématiquement l’écran à chaque apparition, précieuse denrée. Ici, son retour ne produit hélas pas les étincelles espérées. La faute une fois encore à une idée de scénario absurde et à peu près aussi peu excitante que celle du “love interest” de Luther, transformant une fois de plus Alice en alliée tombant à pic… Mouais. Comme Batman et le Joker, Luther et Alice sont les deux faces d’une même pièce, unis à jamais par leur instinct violent malgré leurs camps opposés, mais jamais cette saison ne parvient à reproduire cette thématique de façon aussi puissamment borderline que la première.

Alice Morgan (jouée par Ruth Wilson) is back… With a vengeance ? Même pas !
Pour s’assurer probablement le retour de téléspectateurs effrayés par la noirceur des débuts, les scénaristes ont joué la carte de la “comfort zone” et Luther, même si le glauque rôde toujours à chaque épisode, n’angoisse plus vraiment. L’épilogue de la saison a beau laisser entendre que John Luther n’est pas prêt de retrouver une vie normale et se clôturer sur un excitant dernier plan faisant écho à la saison 1, c’est un peu court et trop tard pour rattraper l’impression générale de gâchis. Luther n’est plus ce colosse dévoré par sa rage, son côté obscur et la culpabilité : il est devenu un simple coinceur de méchants cathodique, juste un peu plus intriguant que la moyenne. Au final, la production a eu raison : le final de la saison 3 a pulvérisé les records d’audience de la série. Qu’il s’agisse d’une saison 4 ou d’un film au cinéma, on retrouvera donc tôt ou tard John Luther sur un écran, à défaut de le retrouver en enfer. Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle ?
Je suis d’accord, Luther a perdu de sa magnificence dès la saison 2. Je suis d’accord, le barbouze qui veut la peau de Luther n’est pas crédible. Je suis d’accord, le tueur des deux premiers épisodes n’est pas le plus intéressant. Je suis d’accord, le retour d’Alice arrive comme un cheveu sur la soupe.
Et pourtant cette saison a fonctionné sur moi. J’y ai retrouvé l’atmosphère si particulière de la série, ce Londres glauque, ces personnages désabusés. J’ai aimé le troisème épisode avec le vengeur populaire. J’ai trouvé très forte la scène d’exécution du pédophile. J’ai été bouleversée par ce père détruit par le chagrin. J’ai été en état de choc à la mort de Ripley. J’ai été enchantée par Alice, car je serai toujours enchantée par Alice.
Certes, la saison 1 est un bijou inégalé par les deux suivantes, mais Luther reste une série à part que je garde précieusement au chaud dans mon coeur de sériephile.
Je ne pourrai être en plus désaccord avec toi. Enfin, si je peux comprendre les griefs évoqués, je n’ai pas du tout la même vision de la série que toi (et vous êtes nombreux dans ton cas, ce qui n’arrange pas vraiment ma plaidoirie).
La série évolue en fonction de John Luther. En ce sens, il devient un personnage programmatique. Comprendre les intrigues sont prétexte à l’illustration de son état psychologique. Et dans cette saison, Luther est fatigué, usé.
Je ne vois pas le personnage assagi. Il a simplement abandonné le combat. Depuis le pilot, la série illustre la déchéance d’un policier et d’un homme. Pas cette déchéance morale qui le verrait (re?)plonger dans une violence primaire (comme le tueur du 03×03 – 03×04). La déchéance d’une vision qui ne cesse de s’assombrir, d’un monde toujours plus violent et la vacuité d’un combat perdu d’avance. L’homme est abattu, veut se reposer et (re)trouver l’amour dans une bluette banale.
Cette troisième livraison, c’est un grand tribunal avec dans le rôle de l’accusé : Luther. Les quatre épisodes de la saison chercheront à le provoquer, le faire chuter, le placer face à ses démons, ses contradictions. Que le Juge soit un ancien flic ou un vigilante 2.0. Luther, ce flic aux méthodes borderline, oppose parfois « juste » et « justice », avec pour seul valeur : la morale. Et cette mission, particulièrement éprouvante, aura eu raison de lui. Les êtres chers lui seront enlevés tragiquement (Zoe, Ripley), même la promesse d’un amour presque juvénile dans les actes lui est refusée.
Cette saison deviendrait presque misanthropique, où l’espèce humaine montre une visage peu reluisant. Point d’exergue dans 03×03 avec cette foule s’abreuvant d’un lynchage. Retour à la vindicte populaire dans un contexte anxiogène (actualité traumatisante, crises financière, retour de valeurs réactionnaires). La société sous pression où l’embrasement est immédiat et l’auto-justice devient phénomène. Et luther dans ce tableau de prendre les coups, sans rompre mais l’on voit bien le personnage flotter, ne plus influencer son éco-système par des actes forts. Luther court après les événements, les subit, sans trouver cette force brute mêlé à une intelligence acérée, qui faisait pencher la balance de son côté.
Dans ce contexte, le retour de Alice devient providentielle. Elle sauve un Luther devenu immobile, presque soumis à une justice malade qui voudrait soigner ses symptômes en emprisonnant l’un de ses meilleurs éléments. Parce que Luther est aussi un symbole d’une justice à deux vitesses, une justice qui fonctionne de façon saccadée (ce que reprochera le vigilante). Alice illustre l’électron libre, le grain de sable dans la machine (judiciaire et morale). Elle renvoie l’image perfectible d’une police larguée par les événements. Elle renvoie à Luther son côté Maverick. Les voir, discuter sur le pont qui a révélé leur relation ambiguë, montre comment Luther abandonne le combat. Cet épilogue casual, foncièrement déceptif, sent la fin de règne, l’abandon d’une bataille, le roi qui abdique. En lieu et place de la couronne, il se dévêtira, son lucky-coat flottant sur la tamise.
Luther est devenu un mythe. Juste retour des choses, tellement on a pu le voir en Atlas, devant porter le monde sur ses épaules, ou Prométhée, condamner à souffrir éternellement. Il rejoindra les Frank Black ou House au rayon des héros maudits.
Désolé pour la tartine aux idée chaotiques que j’ai pu exprimé un peu n’importe comment, au fil de l’écriture.
Très belle analyse, bravo !
Idris Elba avec son accent british.
Ce qui « Cancel the apocalypse » qu’est Pacific Rim.
Chère Astiera, je reçois totalement tes arguments et je veux bien t’accorder que l’intrigue B sur le papa vengeur assassin sonne très juste, quant à la mort de Justin (arrrgh malheureuse j’avais pris soin de pas spoiler !), moi je la trouve vraiment trop facile et là encore j’y crois pas (les mecs vont coincer ce tueur à fusil à pompe sans mettre de gilet pare balles ?). Me suis plus souvent ennuyé qu’autre chose.
Cher Pol : très belle analyse qui tient parfaitement debout. Le passage sur la foule enragée est l’une des seules bonnes idées de ces quatre épisodes je trouve. Ca ne change hélas pas ma perception d’une saison très très moyennne, bien sage et prévisible.
Cher Wilnock : j’ai rien compris mais merci d’etre passé ! 🙂
Oups… En même temps, on peut tout de même s’attendre à quelques spoils en lisant une critique qui dresse le bilan d’une saison, non ? 😉
J’attendais avec cette S3 un genre de retour aux sources avec la reprise des spécificités de la S1 : épisode commençant par le crime à la Colombo-style, un fil rouge sur l’ensemble de la saison, un vrai retour d’Alice avec un règlement de cette « question » pour le moins embarrassante (Luther peut-il décemment continuer à jouer avec un psychopathe ?), etc. Surtout, j’aurai voulu qu’on revienne à fond sur la réal de la S1 : les décadrés de fou, le jeu sur le point et la profondeur de champs, les alternances, Gros plan/plan large, etc.
Bon, cela n’a pas été le cas. Néanmoins, tout n’est pas à jeter dans cette saison. « Luther » arrive encore à créer des gros moments d’émotion (passage du père dans la cuisine qui va chercher un verre d’eau… énorme) et les acteurs, surtout les 2nd rôles, sont parfaits (mention spéciale à Erin et Justin). Et puis il y a toujours Londres, parfaitement rendue et des jolis tarés.
Quelques agacements quand même : en effet, où est donc passée la jeune fille de la S2 ? Pourquoi Luther est-il revenu à la maison de Zoé ? Fallait soigner la jonction, là, les gars !!! La scène de la pendaison publique est un poil ridicule (démonstrative ? démago ? trop faiblement dramatique ?). L’arrivée d’Alice, c’est vraiment le Deux Ex Machina clichesque à mort. La piste narrative de l’enquête sur Luther par la police des polices finit en eau de boudin (alors que j’attendais le gros complot sur ce point-là). La romance est gnan-gnan et sans vrais enjeux. Luther est trop calme et surtout le scénar de cette S3 n’exploite finalement pas vraiment le fait qu’il est borderline niveau moralité.
Conclusion : S3 en demi-teinte. Si S4 il y a, il va falloir muscler et boucler tout ça !
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