
Théorie du chaos (critique de Godzilla de Gareth Edwards)
Après un premier essai plus que réussi dans le monde trépidant des grosses bestioles avec Monsters Gareth Edwards réveille la créature de la Toho pour un blockbuster hors norme, à mille lieues des productions actuelles. En s’arrogeant le luxe de privilégier la lenteur et en troquant le spectaculaire gratuit et le clinquant pour un long crescendo, le réalisateur filme un chaos implacable d’une force inouïe. Un contre pied splendide et une délicate prise de risque.
Pour commencer, Rendons tout de même à César ce qui est à la César. Et surtout ce qui est à la Warner. Car il faut bien l’avouer, engager ce jeune freluquet de Gareth Edwards pour une potentielle licence aux zillions de dollars est un pari extrêmement couillu venant du studio. Quiconque aura vu son Monsters de 2010 vous dira bien une chose : dans le film, il n’y a pas quasiment pas de monstres. Ce qui l’intéresse lui, c’est ce que l’on ne voit pas, ce qui se passe autour, ce qui se passe après le désastre. Et si dans Godzilla le climax final donne au spectateur ce qu’il est venu voir – un combat dantesque entre monstres dans un San Francisco en ruines – l’intérêt de Gareth Edwards lui se situe ailleurs.
En inscrivant son film dans un sujet au final très « dans l’air du temps » – l’impuissance de l’homme face à la nature – le réalisateur nous embarque dans un monde transformé en antichambre de l’enfer, un chaos grandeur nature et monstrueux contre lequel personne ne peut rien. Si les références se font très discrètes, on pense à Fukushima, à Katrina, au tsunami de 2004. Et rarement sur bobine on aura ressenti une telle impression de destruction et de malaise. Plus les hommes s’évertuent à essayer de contrer les éléments, plus ils échouent. Pleinement conscient de cet irrémédiable déroute, le spectateur est happé par ce sentiment d’impuissance et d’insignifiance, réduit comme la plupart des personnages à subir la violence d’une force implacable. Le chaos, filmé le plus souvent avec une grande distance au cinéma est ici étonnamment humain. Plus qu’au héros et sa femme, on s’identifie à ces masses de badauds impuissants, filmés dans des plans ahurissants de beauté.
En dignes paraboles de la fureur de mère nature qu’ils sont, les monstres sont montrés avec parcimonie dans ce que Gareth Edwards appelle des « préliminaires cinématographiques ». Si chaque apparition est furtive, elle est forte, imposante et majestueuse. En cela la première apparition frontale de Godzilla laisse à la fois une impression de frustration mais donne irrémédiablement la chair de poule (je défie quelqu’un de me dire le contraire). En faisant monter la sauce et en évitant de trop dévoiler ses monstres, le réalisateur joue avec nos nerfs mais aussi notre curiosité, un sentiment devenu trop rare dans les salles obscures.
Mais rassure toi spectateur, tu en auras pour ton argent. La confrontation finale tient toutes ses promesses. Ne t’attend toutefois pas aux scènes de combat orgiaques de Tranformers ou de Pacific Rim tout en acrobaties et en épées rétractables. Rappelant le costume en mousse du Godzilla de 1954, les bestioles se déplacent lentement mais surement, se tatanant la poire avec force et violence et détruisant absolument tout sur leur passage. Réaliste, glaçant et à l’image du film en lui même le déchainement des monstres n’est pas là que pour le spectacle mais bien pour illustrer cette force de la nature qui dépasse complètement les hommes, ces petits bouts de viande qui courent dans tous les sens.
C’est là d’ailleurs que le bât blesse. Car en filmant le chaos, Gareth Edwards en oublie ses personnages, à tort ou à raison. Si Bryan Cranston est impeccable comme à son habitude, il est bien le seul vecteur d’émotion dans un film qui peut parfois en sembler dénué. Aaron Taylor-Johnson fait le job en héros gentillet que l’on suit partout mais ça s’arrête là. Elizabeth Olsen est quand à elle reléguée à un rôle de figuration tandis que Ken Watanabe est là pour nous expliquer tant bien que mal les tenants et les aboutissants du film, réduits il faut bien le dire au strict minimum. L’absence marquante de personnages forts se traduit par une baisse de régime perceptible dans un second tiers de film qui s’étire en longueur. Au risque de provoquer le désintérêt de l’assistance.
En ce sens, ce Godzilla déroute en nous mettant dans une position de témoin d’un cataclysme plus qu’en spectateur d’une réelle histoire. Un parti prix audacieux qui déjoue nos attentes et qui en surprendra voire en décevra plus d’un. Quoi qu’on en pense, on ne pourra toutefois que saluer la démarche du metteur en scène qui déjoue les codes du summer movie et qui impose un style à 100.000 lieues des canons du genre. Finalement, c’est peut-être là sa plus grande qualité : réussir à nous surprendre dans un genre qu’on croyait naïvement connaître.
La review du Dr.No c’est par ici…
En salles depuis le 14 mai
Godzilla de Gareth Edwards, avec Aaron Taylor-Johnson, Ken Watanabe, Elizabeth Olsen, Juliette Binoche, David Strathairn et Bryan Cranston.
Pour moi il y a un gros problème de contextualisation. On ne peut pas faire ce Godzilla là, en 2014, dans un cadre contemporain réaliste. Le décalage confine au ridicule.
moi j’aime bien la paritie quand ils détruisent des villes.
A chaque explosion je voulais crier boum !
SPOILER
J’en ai vraiment raz la visière des américains sauveurs du monde. Même pour ce Godzilla ils sont obligés de délocaliser du Japon aux USA … ris(z)ible
On en est à même plus faire attention aux ingérences des autorités US sur un sol étranger. Et ça se veut réaliste ? Laissez moi rire de cette génération de films et de réalisateurs ethno-centrés
Un Captain America, le second degré en moins…
Je comprends que ça puisse énerver mais il faut bien se dire aussi que les films américains sont avant tout destinés à un public américain, pas international. C’est un peu normal même si ça peut paraître regrettable qu’on leur parle de ce qu’ils connaissent.
Après, cette histoire d’ingérence je ne l’avale pas des masses surtout pour ce Godzilla où les autorités sont parfaitement incompétentes pour ce qui est de régler le problème.
Et puis bon, ça tourne un peu à l’anti américanisme primaire ce faux problème. A-t-on jamais reproché à James Bond son ingérence dans les crises internationales?
Je ne pense pas que l’exemple de James Bond soit bon dans ce cas car après tout c’est son boulot d’être espion.
Est-ce que c’est le boulot de NavySeal ou du Swat de gérer des catastrophes industrielles au Japon ? C’est moins sur.
Sans trop polémiquer sur l’anti-américanisme, je trouve juste dommage qu’une histoire légendaire du cinéma japonais ne se passe pas au Japon. Personnellement, je trouve que cela dénature l’oeuvre. D’autant que j’aime beaucoup l’esthétique des plans de la campagne japonaise, avec la centrale en arrière plan.
J’ai vraiment bien aimé la première partie du film avec des petites références à Jurassic Park jusqu’a l’éclosion flippante du parasite! Ensuite je trouve que le soufflet retombe et j’ai petit perdu en intérêt… Je trouve que le fait que fiston se trouve toujours au bon endroit et au bon moment est un peu facile et décevant…