
Edito : Les séries sonneront-elles le glas des livres ? Lettre à Virginie Despentes.
je me permets de t’appeler par ton prénom, je te lis depuis si longtemps, de Baise-moi à King Kong Theory en passant par Bye Bye Blondie, je suis intime avec ta façon de parler, ton phrasé, tes mots crus, bref, c’est comme si je te connaissais.
Je suis souvent, très souvent, d’accord avec toi. Mais pas aujourd’hui. Pas après avoir lu ton interview dans Le Magazine Littéraire daté de janvier 2015. Après avoir parlé de ta vie, ton écriture, ton nouveau bouquin (qui a d’ailleurs l’air génial), tu déclares alors :
« Je pense que les séries nous feront perdre plus de lecteurs que le cinéma, parce qu’elles prennent beaucoup de temps et remplissent la fonction de narration. Rien ne m’avait empêchée de lire énormément avant les séries In the Flesh, Utopia, The Leftovers ou 2 Broke Girls, série débile mais géniale. Chabrol a raconté la France du XXe, d’accord, mais le Balzac du XXIe, ce sera un auteur de génie, genre The Wire ».
Bon, Virginie, d’abord, je trouve que tu as de très bons goûts en série. Moi aussi, j’ai adoré In the Flesh et suis tombée sous le charme de Kat Dennings. Mais sinon, je suis désolée, mais je ne suis pas vraiment d’accord avec toi.
Les séries sont chronophages. D’accord. Les séries remplissent la fonction de narration. Pourquoi pas, si, mais disons que les séries remplissent une fonction de narration. Pourquoi les opposer à la lecture ? Au-delà du fait que tu sois une auteure et que ton interview ait lieu dans un magazine qui décrypte l’actualité littéraire, je ne comprends pas ce besoin d’opposer deux modes qui permettent de raconter des histoires.
La question est intéressante: regarder une série, c’est prendre de son temps. Les livres, c’est pareil. Dans un monde où nous avons de moins en moins de temps à nous accorder, de plus en plus rapide, où des bonnes séries comme de bons livres nous sont proposés comment choisir ? Ou plutôt, faut-il choisir ? Je lis un livre dans les transports en communs, le train, chez moi avant de me coucher, je binge-watch Wonderfalls (oui, je sais, c’est une vieille série, mais faut bien que je la rattrape) ou Orange Is the New Black (une série tirée d’un livre) un jour de mauvais temps… L’un n’empêche pas l’autre. Bon, je peux passer des semaines sans lire, plongée dans une série. Mais j’ai aussi souvent fait nuit blanche pour terminer un roman (les derniers en date étant le Neil Gaiman et le David Wong).
Alors oui, je fais sans doute plus attention à mes lectures ou à mes séries. Je suis plus critique, plus cruelle. Un livre qui m’embête, je le laisse de côté, de même qu’une série rasoir. Je suis sans doute plus exigeante, moins patiente sur certains ouvrages. Et je raterai sans doute des séries ou des livres qui se révèleront des chefs d’œuvre par la suite (mes petits camarades ont par en exemple parlé du cas Agents of S.H.I.E.L.D., que j’ai laissé tomber dès le deuxième épisode). Côté livre, promis, un jour je m’attaquerai au cycle de Fondation d’Asimov. Et aux derniers volumes de Dune). Je les rattraperai plus tard. La magie du Net, c’est que rien n’est totalement perdu. Un livre n’est plus édité ? Je le trouverai dans une boutique de seconde main ou en ligne. Idem pour une série.
Et puis, les séries peuvent mener à la lecture : Game of Thrones a bien du attirer des personnes qui, comme moi, ont d’abord vu les images splendides de Westeros avant de se plonger dans les ouvrages de Georges R. R. Martin.
Ce que je veux dire, Virginie, c’est que la « fonction de narration » dépend aussi du medium (merci Marshall McLuhan qui a un beau jour déclaré : « Le message, c’est le médium« ). Que certains trouvent leur compte sur des lignes écrites, d’autres sur des écrans. L’un n’annule pas forcément l’autre. La lecture a sa propre temporalité, choisie par le lecteur, différente du téléspectateur. Le temps et l’imagination liés à la lecture me semblent être bien différents de ceux liés aux séries. Quand je lis, je choisis le moment, l’endroit (Aaaah, les toilettes. Pourquoi les toilettes ? Je ne sais pas non plus), une solitude que je me compose. Mes séries sont plus souvent partagées, visionnées à plusieurs, plus discutées, moins intimes. Deux modes de me raconter des histoires. Deux modes différents. Certains lecteurs abandonneront le livre pour la série mais aussi vice-versa. Nous évoluons. Notre façon d’aborder une histoire aussi.
Sommes-nous face à des générations qui liront moins ? L’avenir du livre ne me semble pas si sombre. Sous forme numérique ou papier, le récit écrit continue. Il fait sans doute partie d’un pan de l’économie à réinventer, à défendre. Certains génies n’arrivent sans doute pas à être publiés ou sont noyés dans la masse des nouveaux titres qui sortent. Mais là est un autre débat. De même existe ce débat sur : prenons-nous assez de temps seuls ? De temps pour nous faire du bien, lire un livre, regarder une série ou faire du sport ?
Alors, le temps? On le trouvera. Ce ne sera pas forcément « assez » mais fais-nous confiance. Fais-toi confiance. Tant qu’il y aura des gens qui ont le courage, la rage d’écrire, nous serons là.
Je te souhaite plein de bonnes lectures pour l’année à venir. Plein d’excellentes séries et de très bons films, des podcasts même. Je te souhaite des récits à apprécier seule ou à plusieurs, des portes multiples sur l’imaginaire. Je te souhaite du temps.
Passe de bonnes fêtes, Virginie. J’ai hâte de me plonger dans ton dernier roman.
À bientôt,
Déborah
Je ne sais pas si elle développe son propos, mais je suis assez d’accord avec la citation. Il ne s’agit pas d’annoncer la mort du livre, juste de dire (qu’elle pense) que les série font perdre des lecteurs. Du fait de l’aspect chronophage et de l’aspect social de la série (difficile de suivre les conversation prés de la machine a café quand on a pas encore eu le temps de regarder le dernier game of throne), regarder une/des série tv est incontournable aujourd’hui. On assiste en plus a une élévation assez impressionnante de la qualité de production de celles ci.
Tout ça pour en venir à mon exemple personnel (et triste) : je n’ai (quasiment) plus lu un seul livre depuis que j’ai découvert les série tv us à forte narration avec LOST, puis 24 (relectures nostalgiques de mes romans chéris préférés mis a part)… ce qui fait déjà plus d’une décennie.
Les séries ne sont probablement les seules responsables Les jeux-video ont eux aussi eu une progression impressionnante ses dernière années en matière de narration). En plus d’avoir pour le coup le même type de temporalité qu’un livre (Aaaaah ma douce nintendo ds posé sur le meuble des toilette)
Je ne doute pas que l’auteure comme toi pense que tout ces média cohabite.
Merci pour ta réponse Yohann. Mais je pense malgré tout que Virginie Despentes se trompe. Déjà en terme de temporalité. Si on suit ton exemple, elle aurait du dire : « les série font perdre des lecteurs », non pas « feront perdre des lecteurs ». Les séries à forte narration existent depuis avant Utopia, merci Buffy, merci Lost ou Deadwood.
Mais le fait que de forts lecteurs deviennent seriephiles n’empêche pas non plus le mouvement inverse (d’où mon exemple Game of Thrones). Les séries ont une saison/pause/une nouvelle saison, qui peut permettre à des gens de lire entre deux saisons ou de se renseigner (ex : j’aime Deadwood, je n’ai plus mon fixe, je vais lire des livres qui ont lieu pendant la conquête de l’ouest). De plus, certains suivrons une seule série à fond, d’autres plusieurs, il n’y a pas de schéma type. Ceux qui aiment Homeland ne sont pas les mêmes qui aiment Docteur Who forcément. Ces média à mon sens cohabitent, se nourrissent parfois l’un et l’autre, sans forcément se phagocyter.
Mais pourquoi, pourquoi les toilettes?! vraiment…
C’est un argument qui n’a que pour but que de défendre son gagne-pain. C’est du même niveau que de dire qu’on n’est pas raciste parce qu’on a des amis de couleurs. C’est bien ce qu’elle dit en substance, elle aime des séries donc elle ne peut pas être taxée de ne pas haïr le médium.
La série existe depuis des décennies an Angleterre ou aux US, sans que cela n’ai menacé la littérature. Elle se porte excellemment bien, elle est plus inventive et créative que la nôtre à bien des égards. L’un passe à l’autre sans souci. Elle oublie aussi que le cinéma a fait vivre la littérature dès sa conception avec des adaptations, comme le théâtre avant et toujours.
On a tous des périodes où on arrête au choix de 1. voir des films 2. lire 3. de regarder des séries 4 d’aller au musée 5. de vivre (je déconne)
C’est un argument typiquement français et reflète plus ce que pense l’auteur du médium – sans rien y connaître – que la réalité.
De la même manière qu’on a pu entendre dans le passé que le cinéma allait tuer la littérature et bien c’est toujours pas le cas.
Cette opposition n’a aucun sens.
Je crois que Despentes a effectivement compris quelque chose. Peut-être la série TV comble effectivement plus efficacement le besoin du public en terme de NARRATION car il bénéficie d’avantages imbattables (concision visuelle, jeu/physique des acteurs, etc.). Mais bien entendu, un livre, ce n’est pas que la NARRATION. C’est aussi un STYLE LITTÉRAIRE, une TRANSMISSION D’INFO PAR LE VERBE, la possibilité de DESCRIPTION PSYCHOLOGIQUE EN TEMPS RÉEL, un ÉCOULEMENT DU TEMPS DYNAMIQUE, etc. Bref, des tas de choses que l’audiovisuel ne peut pas faire ou alors difficilement. Je crois que Despentes pense simplement que ces derniers trucs, le public s’en fout et elle a probablement raison. Car vas chercher du style dans un Levy, un Musso ou un « Twilight » 😉 Et pourtant, ces « bouquins » se vendent par dizaine de milliers. Elle part donc du postulat que le public cherche avant tout de la NARRATION et que comme la série TV est mieux équipée, et ben, mathématiquement, elle va gagner. En fait, la phrase de Despentes, elle hyper critique pour le public, pas pour les mediums. Elle fait juste un constat désabusé de ce que recherche actuellement la masse au niveau culture.
Je suis sans doute moins noire que toi. Je pense que ceux qui ne lisent que Musso, Levy, Stephenie Meyer ne vont pas forcément se détourner de leur lecture pour des séries. Et j’avoue avoir lu pour ma part avec grand plaisir Twilight ou certains Levy. C’est reposant, c’est agréable à critiquer, c’est coupable.
Après, ceux qui ne lisent que des romans « simple » d’accès (et personnellement, je suis contente que ces livres existent car ils permettent à certaines personnes de lire tout simplement, et autre chose que des magazines) ne liront jamais de façon régulière un livre plus dur, plus long, moins « plage ». (j’essaye d’éviter les hiérarchies dans les modes littéraires, le mot « plage » ou « simple » ne sont pas des insultes). Peut-être dans ce cas, se tournent-ils vers les séries pour apprécier un temps narratif. Mais je ne pense pas qu’ils se seraient alors tourné vers des auteurs compliqués, ou vers Littell ou Franzen sinon. (et ça ne les empêchera pas de se tourner vers un autre médium, un livre dur, de temps à autre).