
« Pop culture » : quand Lady Gaga rencontre Carl Jung au coeur de Matrix
L’histoire : Richard Mèmeteau essaye de comprendre à travers son livre ce qu’est la pop culture, qu’elles en sont les enjeux et les théories qui la gouverne. Mais il veut aussi montrer comment, à travers une culture qui se veut la plus large possible, se créent des identités minoritaires, des courants divergents et s’ouvre aux « déclassés, aux breaks et aux minorités en tout genre ». Le sous-titre du livre : Réflexions sur les industries du rêve et l’invention des identités.
Mon avis : Tiré à la fois de ses connaissances en tant que fan et universitaire, s’appuyant et expliquant les théories des blocksbusters hollywoodiens, décryptant les messages des grands phénomènes culturels (Andy Warhol, Lady Gaga, Harry Potter, Star Wars, RuPaul’s Drag Race, Matrix), le livre essaye de toucher à toute la Pop Culture, la définir et expliquer la recette du succès ou définir le « camp ».
Richard Mèmeteau veut expliquer et poser les bases d’une réflexion sur la culture Pop et sur la place du fan en celle-ci. Il défend en quelque sorte la réappropriations des oeuvres, ouvre le débat sur les fanfictions, et explique les enjeux culturels de l’industrie cinématographique d’Hollywood. C’est un ouvrage plaisant car il touche à tout, nous permettant d’explorer en même temps la signification des drag shows, la fin d’Harry Potter, les prophéties auto-réalisatrices, les mythologies et le succès de Zelda. Bref, que des petites choses qui nous touchent, que l’on connait, que l’on a vues ou lues (ou au moins entendues). C’est agréable de lire un ouvrage qui se veut philosophique, universitaire, bref un essai sur un pan de la culture encore peu traité par les sciences humaines en France, tout en apportant l’éclairage des théories anglo-saxonnes.
En cela, c’est un ouvrage ambitieux. Très complet, mais alors très fouillis. Richard Mèmeteau se lance d’un sujet à l’autre, et il est parfois difficile de suivre si vous n’avez pas suivi certains mouvements Pop, comme l’américain RuPaul’s Drag Race. À vouloir toucher à tout, certains sujets sont à peine effleurés, ainsi l’impact sur les téléspectateurs/lecteurs/fans. Les théories se relancent et on manque parfois de fond sur certains objets traités. Le côté « fan » de Mèmeteau ressort souvent à travers la lecture, ce qui lui donne un côté très enthousiasmant et entrainant mais dessert parfois le propos en n’argumentant pas ses avis.
Bref, un ouvrage à lire pour comprendre la Pop Culture et ses mécanismes, mais il faut aussi s’accrocher pour terminer cet essai que nous offre un professeur de philosophie. Au passage, le papier de cette édition à couverture souple est à gros grain et épais, ce qui rend le livre très agréable à lire, même dans les transports en commun.
Si vous aimez : La culture Pop et les essais. Bref, Dark Vador qui rencontre Kant en passant par la case outrancière et le camp.
Autour du livre : Richard Mèmeteau est professeur de philosophie et co-fondateur du blog freakosophy.com. Il a notamment été un des contributeurs du site Internet minorités.org, fondé par Didier Lestrade (le fondateur d’Act Up Paris).
Extrait :
(SPOILERS SUR LA FIN D’HARRY POTTER)
« Harry Potter reconduit le même programme narratif que Matrix. Si l’on avait à le graver sur l’écorce d’un bouleau, ça donnerait quelque chose comme : prophétie autodestructrice + interdépendance des croyances = amour. Si l’on prend le temps de faire une phrase plutôt qu’une équation, on peut dire que le héros est d’abord mis dans une position d’instabilité, qu’il se trouve ensuite obligé de se reposer sur les autres (coopérer sans comprendre) pour finalement faire triompher une forme d’engagement transcendant toute rationalité qu’on peut appeler de façon consensuelle l' »amour ».
On peut faire résonner de façon parfaitement décomplexée le refrain du All you need is love des Beatles pour analyser la saga de J.K. Rowling. L’amour y est en effet présenté comme la « plus puissante des magies ». Car il est précisément ce qui permet à Harry Potter de triompher de Voldemort. Il est ce petit plus que Voldemort ignore et que la prophétie complète de Sibylle Trelawney annonce comme décisif : « Le Seigneur des Ténèbres le marquera comme son égal, mais il aura un pouvoir que le Seigneur des Ténèbres ignore. » (Vous avez remarqué que je cite en entier les noms des personnages, et vous avez raison : vous venez d’entrer dans le passage hardcore fan d’analyse d’Harry Potter.)
Le plus malin dans l’écriture de la saga a été de ne faire apparaître la cause initiale de la survie d’Harry Potter (i. e. l’amour) qu’au dernier tome de ses aventures. L’origine de tout est dévoilée quand tombe le rideau de fin. Le monde des sorciers est en effet si aveugle à l’amour qu’il n’a pu le comprendre qu’au denier moment et, tout au plus, en attendant, lui donner un nom sans en sentir la force. Si l’auteure avait raconté les aventures d’Harry de façon parfaitement chronologique, on aurait su dès le début que Harry ne risquait rien lors de ses quatre affrontements avec Voldemort. Mais renvoyer à si loin la révélation finale de la survie d’Harry Potter comporte également un risque. Car cela oblige le fan moyen à produire une synthèse érudite qui affadit paradoxalement le récit par la redéfinition de la magie qu’elle engage. Harry Potter est un récit de sortie de l’enfance, de sortie de la magie. »
Sortie : octobre 2014, éditions Zones/La Découverte, 253 pages, 18,50 euros.
Zone est une maison d’édition qui publie des ouvrages sympa’ de temps à autre. J’hésitais à prendre celui-ci, attendant une recension/revue. Et je tombe sur celle-ci. Merci !
Je suis déçu que l’impact des séries, oeuvres sur les « récepteurs » (fans, etc.) ne soient qu’esquissés car c’est justement quelque chose que je recherche… A l’occasion auriez-vous des oeuvres qui analysent ce phénomène-là ? (Je me souviens de l’étude sur la réception de Dallas en Israël mais elle a plus de 20 ans…)
Mèmeteau en parle quand même rapidement, parlant de la réappropriation des oeuvres (notamment dans la première partie de son livre) et du travail des fans (fanfictions notamment) à la fin. Mais ce n’est pas le but premier de son ouvrage.
En livre « généraliste », il y a le travail de Teresa de Lauretis : « Théorie queer et cultures populaires : De Foucault à Cronenberg », celui aussi de Laura Mulvey (qui est axé lui sur la représentation et la réception du corps des femmes à l’écran). Certains livres recueillent aussi des articles autour du même thème, tel : « Le héros était une femme » (analyse de Lara Croft, Béatrice Kiddo, Buffy, Ellen Ripley…). Quelques articles traitent alors de la réception de l’oeuvre étudiée. (désolée, c’est tout ce qui me revient pour le moment)
Super ! C’est déjà très bien ; merci beaucoup pour votre réponse et ces références qui permettent déjà de jeter un bon coup d’oeil à cette thématique. 🙂
Passez une très bonne année 2015 !