
Scorsese allume le feu (critique du Loup de Wall Street, de Martin Scorsese)
Malgré le très beau Hugo Cabret et les fulgurances de Gangs of New York, Les Infiltrés ou Shutter Island, on était tout de même sans nouvelle depuis un paquet d’années du Martin Scorsese de Taxi Driver, des Affranchis ou de Casino. Le Scorsese fou et indiscipliné, jouissif et borderline, prestidigitateur de l’image en liberté dans les champs de l’excès. He ben mon colon, à 71 ans, papy Marty peut se vanter de nous avoir collé le trip barré de l’année !
Adaptant l’autobiographie du trader Jordan Belfort, écrite par icelui en 2005 après 22 mois de taule pour blanchiment d’argent sale et fraude financière, Le Loup de Wall Street sidère par sa radicalité, sa débauche multirécidiviste, sa drôlerie mais aussi la violence de son tableau de l’Amérique financière des années 80 et 90. Ces deux décennies folles au cours desquelles la dérégulation des marchés, entamée sous Reagan et poursuivie par ses successeurs, a transformé le pays en puits sans fond où des cols blancs cokés jusqu’à l’os jonglent avec des milliards au petit déjeuner. Avec les effets cycliques dévastateurs que l’on sait, qu’il s’agisse du crach de 1987 ou de celui de 2008. Jordan Belfort fut l’un d’entre eux avant sa chute. Homologue boursier du Henry Hill des Affranchis (dont l’ombre formelle et narrative plane en permanence sur WoWS), Belfort bande pour l’argent mais finalement, c’est bien la jouissance et les innombrables plaisirs permis par le fric qui nourrissent son addiction.

Lancer de nains en guise d’ouverture du film. Let’s paaaaarty !
Sur un script de Terence Winter, ex-bras droit de David Chase sur Les Soprano, créateur de Boardwalk Empire mais aussi scénariste de Réussir ou mourir (tiens, tiens…), Le Loup de Wall Street fonce donc logiquement tête baissée dans une succession de scènes absolument jubilatoires dans sa première partie. Terrain de jeu sans limite pour Scorsese et sa fidèle alliée monteuse Thelma Schoonmaker, Le Loup… vous prend à la gorge avec sa caméra plus prima donna que jamais, ses bidouillages visuels en rafale et son DiCaprio complètement barré. A pleurer de rire lors de l’inoubliable scène du ferrage d’un pigeon par téléphone, l’acteur fait sauter tous ses verrous, baise à la chaîne et manipule en virtuose la saloperie fascinante. Filmé à plusieurs reprises micro en main en train d’harranguer ses fidèles transis, tel un télévangéliste enfiévré, son Jordan Belfort fait passer le Gordon Gekko de Wall Street pour un petit pasteur luthérien. Gekko, inévitablement mentionné dans le film, fut d’ailleurs un modèle déclencheur de vocation pour le vrai Belfort. Un peu comme Tony Montana fut celui de générations entières de voyous, allez comprendre. Savoir que l’Oscar échappera encore sans doute à DiCaprio en 2014 est un crève coeur, tant l’artiste démontre toute la puissance délirante de son jeu lorsqu’il se décoince – Django Unchained en avait déjà donné un aperçu l’an passé.

Donnie Azoff (Jonah Hill, transfuge du clan Apatow), numéro 2 chez Stratton Oakmont, âme damnée de Jordan Belfort. Un grand malade.
Autour de DiCaprio, la garde rapprochée de Belfort au sein de la société Stratton Oakmont ne détonne pas : Jonah Hill (hallucinant de “fucked up attitude”), Ethan Suplee, P.J Byrne, Rob Reiner (génial en papa bipolaire du héros)… une fourmilière de seconds rôles déments, séides convertis à la folie cupide de leur gourou. J’allais oublier le génial Matthew McConaughey en mentor de Belfort au début de son ascension, complètement halluciné lors d’un jouissif monologue sur l’essence du métier de trader. Même Jon “The Walking Dead” Bernthal, dans le survet’ d’une petite frappe gravitant autour des mafieux de Belfort, prouve que bien dirigé, il sait bien jouer ! En contrepoint moral, l’agent du FBI Patrick Denham, incarné par le toujours impeccable Kyle Chandler, offre au film un autre temps fort mémorable : une confrontation avec Belfort sur le yacht de ce dernier, joute succulente entre deux mondes, deux morales, deux Amériques.
Seule faute de goût : Jean Dujardin (son jeu de sourcils, son sourire OSS…) en banquier suisse, dont l’apparition correspond d’ailleurs au début de décélération qualitative du film. Peut être parce que trop familière dans sa phase de “descente” – les déchirements conjuguaux de Belfort reproduisent ceux de Hill dans Les Affranchis et de Rothstein dans Casino – la charge glorieuse de The Wolf of Wall Street s’essouffle hélas dans son dernier virage. Un trop long tunnel donnant l’impression de tirer à la ligne jusqu’à un ultime épilogue où heureusement, Scorsese parvient in extremis à nous éblouir de nouveau. On y retrouve Jordan au présent, après avoir purgé sa peine, expulsé de son trône mais continuant à donner des séminaires, comme Jake La Motta réduit à se produire dans des salles minables à la fin de Raging Bull. Sauf que pour l’ex-loup de Wall Street, point d’aggiornamento moral rédempteur. Même déchue et brisée, l’arrogante petite ordure n’éprouve pas une once de remord et croit toujours dur comme fer dans son système de valeurs. Magnifique cohérence jusqu’au boutiste d’un film magnifiquement jouisseur et provocateur.

Jordan Belfort convie l’agent spécial Denham(Kyle Chandler) sur son yacht pour mieux comprendre ses intentions. Le face à face va bientôt virer à l’aigre…
Oeuvre la plus explicitement sexuelle de toute la carrière de Scorsese mais aussi sa plus drôle, Le Loup de Wall Street n’oublie jamais pour autant le petit détail sordide rappelant que tout de même, sous la farce, persiste une odeur de malaise. Ici, un suicide aussi furtif que glaçant. Là, une secrétaire de Stratton Oakmont acceptant de se faire raser la tête en live (et carboniser sa dignité) pour 10 000 dollars en pleine party débridée… Bienvenue en enfer. Celui d’une certaine Amérique ivre de fric, de cul et de dope, où règnent des showmen lucifériens comme Jordan Belfort. Et forcément, cet enfer-là est fascinant.
La mini-review enthousiaste du Dr No pour Le Loup de Wall Street, c’est par ici !
John,
J’ai vu le film et je suis totalement en accord avec ta critique. Enfin presque…
J’aimerais d’abord évoquer deux scènes qui, à mon avis, sont too much dans le film : la première étant celle dans laquelle DiCaprio se shoot à mort aux ludes et va se battre avec son pote Jonah Hill et la deuxième étant la scène du naufrage en pleine tempête alors que les protagonistes essayent de rallier Monaco.
Deux scènes dont j’ai vraiment eu l’impression qu’elles sortaient d’une comédie de bas étage et qui, du coup, créaient une sorte de rupture dans le ton du film.
D’autre part, je voudrais parler de Dujardin. Et là j’aimerais partager mon interrogation à son sujet. De ton côté, tu dis que c’est une erreur de casting. Peut-être…
En ce qui me concerne, je m’interroge. Je m’interroge sur le fait que nous autres, français, avons tellement eu l’habitude de le voir faire le pitre dans un gars une fille ou dans OSS 117 que notre jugement est peut-être faussé. Moi aussi, lorsque je l’ai vu faire ses grimaces devant Belfort, j’ai eu du mal à avaler la pilule. mais dans le même moment je me suis demandé comment un américain percevrait la même scène. Après tout, Dujardin fait autant le con que tous les autres perso du film, il pousse autant le trait que Jonah Hill par exemple. Et je pense qu’au final, nous autres en France, connaissont déjà trop les mimiques de notre Dujardin national pour que nous soyons capables de juger de sa performance dans le film.
Enfin j’attends ta réponse à ce sujet mon cher John.
Assez d’accord avec toi pour la scène de la tempête, et celle du shoot aux « ludes » m’a quand même plutot bien fait rire, si ce n’est que je la trouve un peu trop longue.
Pour Dujardin, je vois très bien ce que tu veux dire cher Stif et je me suis moi même posé la question. Certains confrères trouvent que son jeu outrancier se fond parfaitement dans la bouffonnerie ambiante du film. Ce n’est pas mon avis et, hormis même la question du « jeu OSS », je trouve juste qu’il n’est à l’évidence pas au même niveau de DiCaprio face à lui. Peut être suis je influencé en effet par ma vision franco-française de l’acteur, mais de toute façon difficile d’en sortir !
Ca fait toujours plaisir de te voir poster par ici, sinon 🙂
Salut John,
Tout à fait d’accord avec ta critique, super film!!!
Je rejoins le commentaire de STIF concernant Dujardin, je pense que c’est le même problème que pour Marion Cotillard. Nous ne sommes pas objectifs sur leur prestation mais pour les Amerloque sa passe surement très bien. Personnellement j’aurais aimé voir Lambert Wilson dans le rôle du Suisse.. 🙂
Sinon un peu déçu qu’on est pas revu Matthew McConaughey plus loin dans le film, sa prestation du debut est bluffante 🙂
Bon…
Et ben les z’amis…
Moi, j’ai trouvé ça loooooong… trop long…
Alors OK, en pleine phase de rituel écolo il est bon de recycler… Mais franchement balancer dans le shacker les scénaries de casino, Wall Street, et autres films sur les dépravés des US, nous donne ce petit cocktail au goût amer !
Ok la performance de Di caprio est topissime (splendide scène du mec défoncé sur les escaliers à la petite pilule magique vintage)…
Le casting est bon… Le frenchy suisse guy est marrant ( pas trop choqué sur le coup moi)…
Mais ce n’est pas un grand film, rien de nouveau sous le soleil des salopards de la finance. Ces bandits des hautes sphères, plus pourries, que le plus pourri des méchants d’un bon vieux western…
Comme disent nos amis anglophone une sorte de «déjà vu»…
Bref pour moi… C’est Déjavouuuuuuu…
Woula… Je retourne sur mon VHS pour mater un bon vieux film de cow-boys…
Yeeeeeeeeeeeeepeeeeeeeeeee !!!